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mardi 25 août 2020

LE DOGME PROTESTANT LES SACREMENTS EN GÉNÉRAL OU LES MOYENS DE GRÂCE:LA SAINTE CÉNE.

 1) Pour ce qui concerne la Sainte Cène, Luther se battit sur deux fronts. D'une part, il se dressa contre l'ignominie que représentait pour lui le sacrifice de la messe et dénonça la communion sous une seule espèce et le dogme de la transsubstantiation (De la Captivité Babylonienne de l'Eglise, 1520). Par ailleurs, il dut défendre la doctrine de la présence réelle contre Zwingl, Oeolampade, Carlstadt et les « Enthousiastes » (Schwärmer)211. Il avoua avoir été tenté de recourir à une interprétation symbolique des paroles d'institution, "parce que je constatais que j'aurais pu ainsi infliger au pape le coup le plus dur212 , mais "je suis prisonnier et ne peux me libérer de ces liens. Le texte est trop puissant, et les mots ne permettent pas de lui donner un autre sens". 

2) "La Sainte Cène est un sacrement institué par notre Seigneur Jésus-Christ, dans lequel nous mangeons son vrai corps et buvons son vrai sang sous les espèces du pain et du vin" (Petit Catéchisme). La présence réelle a son fondement dans les paroles d'institution, et si Luther recourt à la christologie et en particulier au "genus majestaticum" (communication à la nature humaine des attributs de la nature divine), ce n'est pas pour fonder cette présence réelle, car elle se fonde sur les seules aroles d'institution de ce sacrement, mais pour montrer qu'elle est possible. Luther n'admet pas que le corps du Christ soit enfermé dans un lieu précis du ciel. Dans son traité Bekenntnis vom Abendmahl Christi (1528), le Réformateur montre que le Christ jouit de plusieurs modes de présence, dont l'ubiquité. C'est pourquoi il n'admet pas qu'on commette ce qu'il appelle une violence dans l'interprétation des paroles d'institution. Il rejette l'explication de Carlstadt, selon laquelle Jésus aurait montré son corps quand il a dit: "Ceci est mon corps". Il rejette également celle de Zwingli qui réduit le verbe « être » (« ceci est mon corps, ceci est mon sang » au verbe « signifier ». il rejette enfin l'interprétation d'Oecolampade que Calvin reprendra à 211 Cf. aussi Dass die Worte Christt 'Das ist mein LeI usw.' noch feststehen wider die Schwarmgeister, 1527; Bekenntnis vom Abendmahl Christi, 1528; Colloque de Marbourg, 1529). 212 Cf. An die Christen zu Strassburg (1524). 179 son compte et qui consiste à dire que le pain est l'image ou la figure du corps du Christ, soit parce que ce corps fut rompu sur la croix comme le Christ rompit le pain devant ses disciples (en réalité le corps du Christ ne fut pas rompu sur la croix, on ne lui brisa pas les os), soit parce que le corps du Christ nourrit l'âme comme le pain nourrit le corps. Ceci dit, Luther ne cherche pas à expliquer les modalités de cette présence et ne défend pas la théorie de l'impanation. Il se contente d'utiliser des tournures qui attestent qu'il s'agit d'une présence réelle: "Peu importe qu'on dise qu'il est dans le pain, qu'il est le pain ou qu'il est là où est le pain. Je ne veux pas me battre pour des mots, pourvu que le sens soit retenu et qu'on confesse que ce que nous mangeons dans la Cène n'est pas du simple pain, mais le corps du Christ". On appelle cela la manducation orale qui concerne aussi ceux qui communient indignement, car elle ne se fonde pas sur la foi des communiants, mais sur les paroles du Christ (Concorde de Wittemberg, 1536). Quel est l'effet de la Sainte Cène? "La grâce de la Sainte Cène est indiquée par ces mots: "Donné et répandu pour vous en rémission des péchés". Ainsi, en vertu de ces paroles, nous recevons dans la Sainte Cène la rémission des péchés, la vie et le salut; car là où il y a rémission des péchés, il y a aussi vie et salut" (Petit Catéchisme). En rendant le communiant participant de son corps et de son sang, le Christ lui donne les arrhes du pardon. Il scelle de la sorte ce pardon par ce par quoi il l'a acquis sur la croix. La foi est bien sûr requise de la part du communiant, car quiconque communie dans l'impénitence ou l'incrédulité se rend coupable envers le corps et le sang du Christ. 

3) Confession d'Augsbourg: "Nous enseignons que le vrai corps et le vrai sang du Christ sont véritablement présents (vere adsint), distribués et reçus dans la Cène sous les espèces du pain et du vin. Nous rejetons donc la doctrine contraire" (Article 10). Apologie de la Confession d'Augsbourg: "Nous confessons que le corps et le sang de notre Seigneur Jésus-Christ sont réellement et substantiellement présents dans la Sainte Cène (vere et substantialiter adsint) et qu'ils sont offerts et reçus avec les éléments visibles, le pain et le vin" (Art. 10, 54). Articles de Smalkalde: "Ils sont reçus non seulement par les chrétiens pieux, mais aussi par les mauvais chrétiens" (111, 6). 

4) On sait que Melanchthon finit par se distancer de la doctrine de Luther. Dans sa réédition de la Confession d'Augsbourg de 1540, il remplaça la tournure « sont vraiment présents et distribués» (vere adsint et distribuantur) par la formule « sont vraiment exhibés avec le pain et le vin » (cum pane et vino vere exhibeantur) et supprima la fin du paragraphe: "Nous rejetons donc la doctrine contraire". En adoptant le Livre de Concorde (1580), l'Eglise luthérienne souscrivait à la première édition de la Confession d'Augsbourg qu'on appelle l'Invariata et rejetait ainsi les changements apportés par Melanchthon. La Formule de Concorde (1577) mit fin au crypto-calvinisme qui s'était introduit dans le Luthéranisme et ratifia le « vraiment et substantiellement » (vere et substantialiter): «… que le corps et le sang de Jésus-Christ sont vraiment et substantiellement dans la Cène du Seigneur et qu'ils sont distribués et reçus avec le pain et le vin »213 . Elle rejette la réduction des paroles d'institution à une simple « présence et manducation spirituelle » (praesentia et manducatio spiritualis) (VII, 5) en faveur d'une « manducation orale » (manducatio oralis), tout en condamnant une conception capernaïtique214 de cette manducation: « Le corps et le sang du Christ ne sont pas seulement consommés spirituellement par la foi, avec le pain et le vin, mais aussi oralement, non pas d'une façon capernaïtique, mais d'une façon surnaturelle et céleste, en vertu de l'union sacramentelle »215 . Il en résulte que même les "indignes et les infidèles" reçoivent le vrai corps et le vrai sang du Christ (VII, 16). La présence réelle se fonde non pas sur une activité ou disposition humaine, mais sur l'institution et la promesse du Christ. Elle est aussi limitée à l'acte sacramentel et cesse 213 « ... quod in Coena Domini corpus et sanguis Jesu Christi vere et substantialiter sint praesentia et quod una cum pane et vino vere distribuantur atque sumantur » (Epitome, VII, 6). 214 Ce terme signifie ici « d'une façon cannibale ». 215 « Corpus et sanguis Christi non tantum spiritualiter per fidem, sed etiam ore, non tamen capernaitice sed supernaturali et coelesti modo, ratione sacramentalis unionis, cum pane et vino sumi » (VII, 15). 180 donc quand l'administration du sacrement, qui inclut la consécration, la distribution et la réception, est terminée: « Il n'y a pas de sacrement en dehors de l'usage institué par le Christ ou de l'acte divinement institué » 216 . 

5) Les Dogmaticiens luthériens n'ont rien apporté de nouveau à ces formulations, si ce n'est quelques précisions utiles. La « matière terrestre » (materia terrestris) est le pain (azyme ou non). La fraction du pain n'est pas un élément essentiel du sacrement, mais eut lieu lors de son institution parce qu'on avait coutume de briser manuellement les galettes de pain, La « matière céleste » (materia coelestis) est le corps et le sang du Christ, en vertu d'une interprétation littérale des paroles d'institution qui voit en elles une synecdoque: « 'Touto' désigne l'ensemble sacramentel tout entier qui est fait du pain et du corps du Christ, ainsi que du vin et de son sang. 'Estin' affirme que ce qui est distribué dans la Sainte Cène est vraiment et réellement non seulement du pain, mais aussi le corps du Christ217 . La présence du corps et du sang du Christ dans la Cène n'est pas physique, locale ou circonscriptive, mais « métaphysique » (hyperphysica), c'est-à-dire au-delà des lois de la physique. Elle transcende les modes de présence ordinaires et rationnellement explicables et est rendue possible par l'exaltation ou glorification du Christ. A défaut d'une description rationnelle, les Dogmaticiens se contentent de parler d'union sacramentelle (unio sacramentalis) du corps du Christ au pain et de son sang au vin. Il y a manducation orale du corps et du sang du Christ de la part de tous les communiants, mais elle n'est bénéfique et salutaire que si elle accompagnée de la manducation spirituelle du Christ (Jean 6), c'est-à-dire si elle a lieu dans la repentance et la foi (J. Gerhard, J. Quenstedt, D. Hollaz, etc). 

6) Zwingli fait de la Cène une simple commémoration de la mort du Christ: « Dans l'eucharistie il n'y a rien d'autre qu'une commémoration » (in eucharistia nihil aliud est quam commemoratio). Le pain rompu et le vin versé symbolisent la mort du Calvaire et rappellent qu'elle eut lieu pour le salut du monde. S'il confesse que le corps du Christ est présent (verum Christi corpus adsit), il l'est seulement pour la contemplation de la foi (fidei contemplatione). Cela signifie que ceux qui communient avec foi reconnaissent et réalisent ainsi qu'il est devenu homme, qu'il a souffert et qu'il est mort (Fidei Ratio, VIII) . 

7) La doctrine de Calvin se situe à mi-chemin entre Zwingli et Luther. Le Réformateur de Genève ressemble en cela au Réformateur de Strasbourg Martin Bucer. Selon ces deux thélogiens, le pain et le vin ne sont pas de simples signes, mais les arrhes de la grâce divine. Le corps et le sang du Christ sont effectivement reçus dans la Cène, mais selon les modalités de Jean 6. Leur présence est dite réelle, mais il n'y a pas de manducation orale. Elle signifie que le Saint-Esprit confère aux communiants qui par la foi s'élèvent au ciel la puissance de vie qui jaillit du corps du Christ. « J'affirme que le Christ n'est pas présent dans la Cène que de la façon suivante: les esprits des fidèles, puisqu'il s'agit d'une action céleste, s'élèvent par la foi au-dessus du monde, et c'est ainsi que le Christ, en supprimant par la puissance de son Esprit l'obstacle que pouvait constituer la distance, s'unit à ses membres218 . "Il nous faut établir une présence de Jésus-Christ en la Cène telle qu'elle ne l'attache point au pain et ne l'enferme point là-dedans, et que finalement elle ne le mette point ici-bas en ces éléments corruptibles, d'autant que cela déroge à sa gloire céleste; et aussi qu'elle ne lui fasse point un corps infini pour le mettre en plusieurs lieux et pour faire accroire qu'il soit partout au ciel et sur la terre, d'autant que tout cela contrevient à la vérité de sa nature humaine" (Instit. Relig. Chrét. XVII, 19). S'il arrive à Calvin de parler de présence substantielle, il utilise le concept de substance non pas dans 216 « Nihil habet rationem sacramenti extra usum a Christo institutum seu extra actionem divinitus institutam » (S.D. 85.86). 217 David Hollaz: « 'Touto' denotat totum complexum sacramentale, constans ex pane et corpore, vino et sanguine Christi. 'Estin' denotat id quod in sacra coena porrigitur vere et realiter esse non tantum panem , sed etiam corpus Christi ». 218 « Non aliter Christum in coena statuo esse praesentem, nisi quia fidelium mentes, sicut illa est coelestis actio, fide supra mundum evehuntur et Christus, Spiritus sui virtute obstaculum, quod afferre pote rat loci distantia, tollens, se membris suis conjungit ». 181 son sens philosophique ou théologique, mais comme synonyme de présence vivifiant219 . Calvin fait de la Cène un moyen de grâce, en ce sens que le pain et le vin sont les sceaux de ce que Dieu accomplit pour le croyant dans le sacrement. C'est à ce titre que la participation à la Cène édifie et fortifie le croyant dans la foi. Le texte que nous venons de citer nie l'ubiquité de la nature humaine du Christ (Instit. Relig. Chrét., 17, 16.30.31). Calvin accuse à tort les luthériens d'enfermer le corps du Christ dans le pain: "Ils disent que néanmoins le corps de Jésus-Christ y est enclos... Il appert qu'ils s'amusent à une présence locale" (17, 16). "En enfermant le corps dans le pain, ils imaginent qu'il est partout, ce qui est contraire à sa nature" (loc. cit.). Ni Luther ni les Luthériens n'ont souscrit à la théorie de l'impanation ni assimilé la présence du corps et du sang du Christ à une présence locale. Quel est le tertium comparationis, c'est-à-dire le « point de comparaison » qui fait que le pain et le vin sont pour Calvin symboles du corps et du sang du Christ? Le Réformateur répond: Dieu "a donné par la main de son Fils à son Eglise le deuxième sacrement, à savoir le banquet spirituel, où Jésus-Christ nous témoigne qu'il est le pain vivifiant (Jn 6: 51) dont nos âmes soient nourries et repues pour l'immortalité bienheureuse... La Cène n'est autre chose qu'une confirmation visible de ce qui est récité au 6° chapitre de Saint Jean, à savoir que Jésus-Christ est le pain de vie qui est descendu du ciel" (17, 1.14). Le corps et le sang du Christ nourrissent spirituellement comme le pain et le vin nourrissent corporellement, physiquement. C'est là l'analogie en vertu de laquelle le pain et le vin sont dits symboliser le corps et le sang du Christ ou en être la figure et la représentation. D'autres théologiens ont vu cette analogie dans la fraction du pain, à laquelle cependant ne correspond pas de fraction du corps du Christ sur la croix. 

8) Calvin, c'est indéniable, va plus loin que Zwingli dans sa façon de concevoir l'essence et l'efficacité de la Cène. En cela il est plus près de Luther. Il rejoint cependant Zwingli dans la négation de la présence réelle (au sens luthérien) et de la participation même des indignes au corps et au sang du Christ (communio indignorum) : "Voilà d'où est venu qu'ils (les Luthériens) ont faussement interprété le mot de manducation sacramentelle, pensant que les plus méchants, bien qu'ils soient totalement étrangers et éloignés de Jésus-Christ, ne laissent pas de manger son corps. Or la chair de Jésus-Christ au mystère de la Cène est une chose autant spirituelle que notre salut éternel. D'où je conclus que tous ceux qui sont vides de l'Esprit de Christ ne peuvent pas plus manger sa chair que boire du vin sans nulle saveur" (17, 33). La christologie de Calvin reste soumise à l'axiome «Le fini n'est pas apte à l'infini » (finitum non est capax infiniti) selon lequel le corps matériel du Christ n'est pas en possession d'attributs infinis tels que l'ubiquité ou omniprésence. Aussi Calvin nie-t-il l'ubiquité de la nature humaine du Christ, affirmant que si le Christ est omniprésent, il l'est seulement selon sa nature divine, en dehors de son corps. C'est ce que les Luthériens appellent l'« extra calvinisticum ». Rappelons que l'ubiquité de la nature humaine du Christ n'est pas une théorie luthérienne, mais qu'elle a eu de nombreux défenseurs dans l'histoire de l'Eglise220 . Soumise à l'axiome "Finitum non est capax infiniti", la christologie de Calvin ne lui permet pas de concevoir la présence du corps et du sang du Christ de la même façon que la théologie luthérienne. En ce qui concerne l'efficacité de la Cène, nous pouvons faire la même constatation que pour le Baptême: de même que, selon Calvin, Dieu agit « dans le Baptême » (in baptismo), mais non pas « par l'eau du Baptême » (per aquam baptismi), de même il agit et offre sa grâce « dans la Cène » (in coena), mais non pas « par le pain et le vin » (per panem et vinum). L'action divine est contemporaine de celle des éléments terrestres, mais n'a pas lieu par eux. 

9) Les Eglises Evangéliques empruntent généralement la voie de Zwingli et font de la Cène un mémorial, un repas par lequel la communauté chrétienne confesse sa foi en la mort rédemptrice du Christ et la commémore: "La Sainte Cène est d'abord un repas 219 Cf. la note des éditeurs dans l'Institution de la Religion Chrétienne, Labor et Fides, Livre IV, p. 349. 220 Cf. le Catalogus Testimoniorum (témoignages des Pères relatifs au "genus, majestaticum") qui figure dans le Livre de Concorde. 182 commémoratif. Elle est destinée à rappeler aux enfants de Dieu les souffrances et la mort expiatoire du Seigneur et Sauveur Jésus-Christ" (Nouveau Manuel d'Instruction des Eglises Mennonites, p. 73 s.). "Elle constitue ainsi un symbole du sacrifice accompli par le Seigneur Jésus-Christ... et le signe de la nouvelle alliance que Dieu a traitée avec les hommes et qu'il a scellée par le sang de Christ" (op. cit.). Par ailleurs, elle est "un repas de consécration par lequel le chrétien vient confesser sa foi au Seigneur Jésus-Christ, non pas simplement en parole, mais en acte... La Sainte Cène est le repas de l'amour fraternel dans la communion au corps de Christ, l'Eglise... La Sainte Cène est aussi le repas de l'espérance chrétienne, qui annonce la mort de Jésus, mais aussi sa résurrection, et qui sera célébré jusqu'à ce qu'il vienne" (loc. Cit.). On constate que la théologie évangélique ne laisse pas de place à la dimension sacramentelle de la Cène et ne la conçoit pas comme un moyen de grâce, c'est-à-dire un moyen par lequel Dieu offre et scelle effectivement à celui qui communie avec foi le pardon des péchés et la vie éternelle. Les Eglises Evangéliques pratiquent aussi en général la discipline eucharistique et n'admettent à la Cène que ceux qui mènent une vie authentiquement chrétienne. Cette discipline est. malheureusement absente dans de nombreuses Eglises luthériennes et réformées à caractère multitudiniste. Elle est cependant clairement inscrite dans la théologie des Réformateurs et pratiquée par les Eglises protestantes qui se veulent fidèles à la Réforme. 

10) Le rationalisme a suivi la même voie que le socinianisme qui ne voyait dans la Cène que la commémoration de la mort du Christ. Il a rejeté les définitions dogmatiques de la Réforme comme autant de spéculations scolastiqees (Wegscheider). Le supranaturalisme réduisit l'efficacité du sacrement à une activité générale du Christ glorifié, ou bien à une attestation de sa présence et de sa prévenance (Reinhard, Knapp, Steudel). Pour le libéralisme, la Sainte Cène était destinée à affermir le croyant dans la communion avec le Christ, à lui donner conscience du pardon des péchés et à lui infuser la puissance de vie qui jaillit de sa plénitude (Schleiermacher, Glaubenslehre II, § 140-142). La controverse qui avait opposé Luthériens et Réformés étant considérée comme dépassée, la voie était frayée à l'union des Eglises protestantes. Le XIX° siècle connut cependant un réveil de la conscience luthérienne et un retour aux grandes affirmations de la Réforme (A. Vilmar, w. Lohe, L. Harms, C.F.W. Walther, etc). Dans le dialogue oecuménique actuel, on se contente de confesser de part et d'autre la présence réelle du Christ, évitant toute formulation susceptible de faire renaître l'ancienne controverse. Thèses d'Arnoldshain (1957): "Dans la Sainte Cène, Jésus-Christ lui-même agit dans ce que fait l'Eglise, en tant que Seigneur présent par l'Esprit Saint dans sa Parole" (Thèse 2). "Lui-même, le Seigneur crucifié et ressuscité, se donne à nous dans son... corps et dans son... sang avec le pain et le pain, en vertu de sa promesse, et nous introduit ainsi par la puissance du Saint-Esprit dans la victoire de sa seigneurie, pour que nous ayons par la foi en sa promesse le pardon des péchés, la vie et le salut" (Thèse 4). La Concorde de Leuenberg (1971) s'efforce de prouver que les différences entre Luthériens et Réformés ne sont pas de nature à les séparer et à interdire la communion ecclésiale. Ses formulations sont telles qu'elles évitent tout ce qui pourrait diviser les protestants dans la doctrine de la Sainte Cène: "Dans la Sainte Cène, Jésus-Christ, le Ressuscité, s'offre lui-même avec le pain et le vin, en vertu de sa promesse, dans son corps et son sang livrés à la mort pour tous" (Thèse II, 2 b). "C'est ainsi qu'il s'offre lui-même sans restrictions à tous ceux qui reçoivent le pain et le vin, pour le salut de ceux qui croient et pour le jugement des autres" (Thèse III, 1). Au lieu d'affirmer la présence réelle du corps et du sang du Christ, les thèses protestantes modernes se contentent de confesser que le Christ lui-même est personnellement présent dans le sacrement. La thèse de la théologie de la communauté de Taizé, selon laquelle "le caractère mémorial de la Sainte Cène consiste en ce que l'Eglise, en célébrant ce sacrement, rend présentement actif devant Dieu et pour les hommes le sacrifice de la croix accompli une fois pour toutes" (M. Thurian, Eucharistie, 1963, p. 332). Cette conviction, si elle est partagée par un certain nombre de protestants et en particulier de Luthériens qui ont la nostalgie de Rome, est loin d'être représentative pour le 183 protestantisme moderne. Les voix ne manquent pas pour rejeter une conception sacrificielle de la Cène qui, de toute évidence, méconnaît l'oeuvre de la rédemption telle qu'elle est révélée dans l'Ecriture Sainte22

Source: https://www.egliselutherienne.org/wp-content/uploads/Bibliotheque/Precis-d-Histoire-des-Dogmes-Kreiss.pdf

LE DOGME PROTESTANT LES SACREMENTS EN GÉNÉRAL OU LES MOYENS DE GRÂCE:LE BAPTÊME


1) Luther définit le Baptême comme n'étant pas "une eau ordinaire, mais une eau administrée par suite d'un commandement de Dieu et unie à sa Parole" (Petit Catéchisme). C'est le "accedit Verbum ad elementum et fit sacramentum" de Saint Augustin. Il précise dans les Articles de Smalkalde qu'il n'accepte pas la doctrine thomiste qui, oubliant la Parole et l'institution divines, affirme "que Dieu a mis dans l'eau une vertu spirituelle qui enlève le péché au moyen de l'eau" (III, V). La Parole de Dieu sanctifie l'eau, de sorte que celle-ci « n'est pas autre chose que Parole de Dieu ou Parole divine » (nihil aliud sit quam Dei seu divina aqua, Grand Catéchisme). En ce qui concerne l'efficacité du Baptême, le Réformateur déclare: "Le Baptême opère la rémission des péchés, il délivre de la mort et du diable, et il donne le salut éternel à tous ceux qui 176 croient, conformément aux paroles et aux promesses de Dieu" (Petit Catéchisme). Luther voit dans Tite 3: 5 la preuve formelle que le Baptême est un bain de régénération (Petit Catéchisme; Grand Catéchisme, Le Baptême, § 27). Se fondant sur Marc 16 et d'autres textes, il confesse que le Baptême est un moyen de grâce par lequel Dieu offre son pardon et son salut à quiconque le reçoit avec foi: "Nous dirons donc tout simplement que la vertu, l'oeuvre, l'utilité, le but et l'effet du Baptême, c'est de sauver" (Grand Catéchisme, Le Baptême, § 23-27). Si la validité du Baptême ne dépend ni de la foi de celui qui l'administre ni de la foi de celui qui le reçoit, il n'agit nullement "ex opere operato". Ce que Dieu y offre n'est reçu et appréhendé que par la foi: "Ce n'est pas l'eau, certes, qui opère ces grandes choses, mais c'est la Parole de Dieu unie à l'eau et la foi qui s'appuie sur cette Parole de Dieu dans l'eau" (Petit Catéchisme). "La foi seule rend la personne digne de recevoir utilement l'eau salutaire et divine. Ce qui est offert et promis ici, par ces paroles jointes à l'eau, ne peut être reçu que si nous croyons à ces paroles. Sans la foi, le Baptême ne sert à rien, bien qu'il soit en lui-même un trésor inépuisable" (Grand Catéchisme, Le Baptême, § 32 ss) . 

2) La Confession d'Augsbourg dit du Baptême « qu'il est nécessaire au salut et que par lui est offerte la grâce de Dieu (quod sit necessarius ad salutem, quodque per baptismum offeratur gratia Dei) » (Article IX). Elle ajoute « que les enfants doivent être baptisés et que par le Baptême ils sont présentés à Dieu et reçus en grâce ». C'est ce qu'affirment aussi les Articles de Smalkalde, en précisant que la promesse de la rédemption vaut aussi pour les enfants (III, V). La foi ne fait pas le Baptême, mais au contraire se fonde sur lui. Etant bain de régénération, celui-ci fait naître la foi dans le coeur ou la fortifie, si elle est déjà là. C'est pourquoi, "nous apportons l'enfant, estimant et espérant qu'il croit, et nous demandons à Dieu de lui donner la foi. Toutefois ce n'est pas à cause de cela que nous baptisons, mais c'est parce que Dieu l'a ordonné et que nous savons que Dieu ne ment pas" (Grand Catéchisme, Le Baptême, § 56). 

3) Les Dogmaticiens de l'Orthodoxie luthérienne qualifient l'union de la Parole et de l'eau d'« union sacramentelle » (unio sacramentalis). Elle est dite « réelle et exhibitive » (realis et exhibitiva). C'est pourquoi il est faux de distinguer entre Baptême intérieur et Baptême extérieur, ou entre Baptême d'eau et Baptême d'Esprit. C'est par l'eau que l'Esprit agit dans le Baptême. L'effet du Baptême est « don de la foi et de la grâce de l'Evangile » (fidei et gratiae evangelicae oblatio), « offre » (collatio) pour les enfants, et « sceau » (obsignatio) pour les adultes (Gerhard, Quenstedt, Hollaz). Les enfants ne sont pas baptisés « parce qu'ils croient » (quia credunt), mais « pour qu'ils croient » (ut credant). Etant moyen de régénération, le Baptême produit la foi chez l'enfant, une foi implicite que nous ne pouvons pas décrire psychologiquement, et qui devient explicite et consciente à mesure que l'enfant grandit dans l'écoute de l'Evangile et dans un environnement chrétien). M. Chemnitz donne au sujet de la foi des enfants l'explication suivante: "Quand nous disons que les enfants croient ou qu'ils ont la foi, il ne faut pas imaginer qu'ils comprennent ou ressentent les mouvements de la foi (infantes intelligere aut sentire motus fidei), ce qui est le propre de la foi consciente ou réfléchie (fides reflexa), par opposition à la foi dite directe ou implicite (fides directa seu implicita), mais nous entendons rejeter l'erreur de ceux qui estiment que les enfants baptisés plaisent à Dieu et sont sauvés sans que le Saint Esprit agisse en eux de quelque manière que ce soit (sine actione aliqua Spiritus Sancti in eis), puisque le Christ dit clairement: 'Si quelqu'un ne naît d'eau et d'Esprit...'. C'est pourquoi il faut que le Saint-Esprit soit efficace et qu'il agisse dans les enfants qui sont baptisés (in infantibus qui baptizantur efficacem esse et operari), pour qu'ils reçoivent le Royaume de Dieu d'une manière qui leur est propre et qui nous reste inexplicable (suo quodam modo nobis inexplicabili). Et bien que nous ne puissions comprendre suffisamment et expliquer avec des mots humains quelle est cette action ou opération spéciale du Saint-Esprit, il est cependant certain qu'elle a lieu et se réalise par la Parole de Dieu (esse tamen et fieri ex Verbo Dei certum est) (Examen Concilii Tridentini II, 177 2,10). l

 4) Zwingli, comme nous l'avons vu, dissocie entièrement Saint-Esprit et Baptême et fait de celui-ci une simple profession de foi et un acte liturgique par lequel l'Eglise atteste que le baptisé a été reçu en grâce par Dieu. 5) Calvin, au contraire, fait du Baptême un « signe et enseigne de notre purification », une « lettre patente signée et scellée, par laquelle il nous mande, confirme et assure que tous nos péchés nous sont... remis » (Instit. Relig. Chrét. XV, I). Le Réformateur de Genève s'élève contre ceux qui réduisent le sacrement à une simple profession de foi publique (loc. Cit.). Dieu agit dans le Baptême, contrairement à ce que soutenait Zwingli. Cependant, cette action n'a pas lieu par l'eau, mais parallèlement à elle. L'eau du Baptême ne purifie pas et ne sauve pas. Affirmer le contraire, c'est, de l'avis de Calvin, lui attribuer un pouvoir qui est particulier au sang du Christ. Le Baptême nous fortifie dans la certitude du pardon, en nous assurant que le sang du Christ nous purifie intérieurement comme nous purifie extérieurement l'eau qui est répandue dans le sacrement (XV, 2). Catéchisme de Heidelberg: "Ce n'est pas sans grave raison que Dieu parle ainsi: non seulement il nous enseigne que nos péchés sont expiés par le sang et par l'Esprit du Christ, comme sont lavées par l'eau les souillures du corps, mais bien plus encore il nous assure par ce divin symbole et quittance que nous sommes tout autant purifiés de nos péchés par cette lotion interne que nous le sommes extérieurement et de façon visible par l'eau" (73, 446). Confession des Pays-Bas (appelée encore Confessio Belgica): "Les ministres nous présentent un sacrement et une chose visibles, mais Dieu lui-même offre ce qui est signifié par le sacrement, à savoir les dons et les grâces invisibles" (34, 385). Confession de Westminster: "Le Baptême est un sacrement du Nouveau Testament, institué par Jésus-Christ, non seulement pour l'admission solennelle du baptisé dans l'Eglise visible, mais aussi pour lui être un témoignage et un sceau de l'alliance de grâce" (28, I). Cependant, l'acte extérieur et l'acte intérieur ne se rejoignent pas nécessairement. Ils ne le font que pour les élus, puisque eux seuls sont appelés au pardon et au salut. Il y a donc limitation de l'efficacité du Baptême aux élus. La théologie calvinienne fonde le Baptême des enfants chrétiens sur leur droit à la régénération et aux bénédictions du Christ, droit qui provient de l'appartenance de leurs parents à l'alliance divine. Calvin: "Les enfants des fidèles sont saints dès leur naissance, parce que, avant de venir au monde, ils sont déjà adoptés en l'alliance de vie éternelle. Il n'y a point d'autre raison de les recevoir en l'Eglise, sinon que déjà auparavant ils appartenaient au corps de Christ... Il faut que la grâce d'adoption précède le Baptême" (La vraie façon de réformer l'Eglise, p. 122.123). Certains Réformés ont développé la notion de "régénération présomptive" (Lasco, Ursinus, Acronius, Voetius, Witsius, et plus récemment Kuyper aux Pays-Bas), selon laquelle il est permis d'admettre que la régénération a lieu au moment du Baptême. D'autres se refusent à cette explication, tenant à limiter la régénération aux seuls élus. Après un long débat, les Conclusions d'Utrecht (1908) affirmèrent que "ce jugement de charité relatif à la régénération présomptive ne signifie en aucun cas que tous les enfants baptisés sont effectivement régénérés, étant donné que tout Israël n'est pas Israël (Rm 9: 6.7), en clair: étant donné que seuls les élus sont régénérés210 . Signalons enfin que la théologie réformée ne connaît pas de Baptême d'urgence (Calvin, Instit. Relig. Chrét., 15, 20). 

6) En l'absence de confessions de foi précises et normatives, il est difficile de cerner la doctrine du Baptême des Eglises dites évangéliques. Celle-ci dépend en grande partie de leur doctrine de la grâce et du libre-arbitre. Le théologien baptiste Alfred Kuen réduit le Baptême à un simple symbole: "Le Baptême n'est lié à cette purification que parce qu'il la symbolise" (Le Baptême, 1970, p. 46). L'eau du Baptême représente le Baptême d'Esprit qui donne accès à une vie nouvelle en communion avec Dieu (op. cit., p. 60). Le Baptême est un acte visible qui symbolise le sceau spirituel et un signe d'appartenance à l'Eglise (p. 210 Cf. Louis Berkhof, Systematic Theology, p. 640. 178 53). Le Nouveau Manuel d'Instruction des Eglises Mennonites (1956) rejette l'opinion selon laquelle le Baptême est un acte par lequel "Dieu régénère celui qui y est soumis" (p. 68). D'une façon générale, les Eglises Evangéliques rejettent le Baptême des enfants. Le Baptême n'étant pas un moyen de grâce, un sacrement dans lequel c'est avant tout Dieu qui agit et offre sa grâce, son pardon et son salut, l'accent est mis presque exclusivement sur ce que fait l'homme quand il le reçoit, donc sur sa profession de foi. Aussi n'est-il conféré qu'à ceux qui confessent leur foi de façon explicite et constitue-t-il ainsi un témoignage et un engagement public à vivre dans la repentance et la foi (A. Kuen, Le Baptême, p. 73. 77 s. 199; Le Nouveau Manuel d'Instruction, p. 70). 

7) La théologie luthérienne libérale du XIX° siècle est caractérisée par un mépris à peine dissimulé pour les sacrements. D'autres Luthériens ont réagi en versant dans l'autre extrême et en défendant une théologie du Baptême et de la Cène qui a des accents nettement romanisants (A. Vilmar). K. Barth en bon théologien réformé voit l'essence du sacrement dans les concepts de "sceau" et de "signe": "De même qu'un roi est présent dans un sceau et l'utilise pour donner du poids à sa lettre, de même le sacrement est lié à la prédication comme le signe du Christ agissant présentement" (Credo, 1948, p; 170 s). On sait que par la suite, K. Barth abandonna cette définition calvinienne et en faveur d'une conception zwinglienne du sacrement. Plus conséquent que le Réformateur de Zürich, il rejeta le Baptême des enfants et exerça en cela une grande influence sur le protestantisme du XX° siècle.

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LE DOGME PROTESTANT LES SACREMENTS EN GÉNÉRAL OU LES MOYENS DE GRÂCE.

  1) C'est sur ce point crucial que les protestants restent malheureusement divisés, que s'élève entre eux un mur qui n'est pas près de tomber. Luther affirme avec force que le Saint-Esprit n'agit pas de façon salvifique en dehors des moyens de grâce, que le pardon et le salut sont liés à ces moyens institués par Dieu (Parole et sacrements) et par lesquels il lui plaît d'appeler les hommes à la repentance et à la foi, de les convertir, régénérer, justifier, sanctifier et préserver dans la foi. Articles de Smalkalde: "Tout cela vient de l'antique serpent, du diable qui fit aussi d'Adam et d'Ève des illuminés en les détournant de la Parole externe de Dieu pour les amener à une fausse spiritualité et à des opinions fantaisistes... Dieu ne donne à personne son Esprit ou la grâce, sinon par ou avec la Parole externe qui doit précéder. C'est notre sauvegarde contre les illuminés ou spirituels qui se flattent d'avoir reçu l'Esprit sans et avant la Parole" (III, VIII, 3 ss.).

 2) Zwingli, que Luther visait dans le texte que nous venons de citer, affirmait exactement l'inverse: « Je crois et je sais que tous les sacrements sont tellement loin de conférer la grâce qu'ils ne l'apportent ou ne la dispensent en aucune façon... En effet, le Saint-Esprit n'a pas besoin d'un guide ou d'un véhicule; il est lui-même la force et le mouvement qui apporte toute chose et n'a pas besoin d'être apporté... La grâce de l'Esprit n'est apportée ni par cette ablution, ni par cette gorgée, ni par cette onction... Par le Baptême, l'Eglise reçoit donc publiquement celui qui auparavant a été reçu par la grâce. Il n'apporte donc pas la grâce, mais l'Eglise atteste ainsi que la grâce a été accordée à celui qui a reçu le Baptême »209 . 

3) C'est du pur illuminisme que Calvin lui-même dénonce en ces termes: "Ceux qui ont osé écrire que le Baptême n'est autre chose qu'une marque et enseigne par laquelle nous protestons devant les hommes de notre religion, ainsi qu'un homme d'armes porte la livrée de son prince pour s'avouer de lui, n'ont pas considéré ce qui est le principal dans le Baptême: c'est que nous devons le prendre avec cette promesse que tous ceux qui auront cru et seront baptisés, auront le salut" (Instit. de la Relig. Chrét. XV, 1). Prédication de la Parole et sacrements sont donc pour Calvin, comme pour Luther, des moyens de grâce, quoiqu'ils ne le soient pas de la même façon. Cf. Auguste Lecerf, Des Moyens de Grâce, in Revue Réformée, N° 22, p. 

4). 209 "Credo, imo scio omnia sacramenta tam abesse ut conferant gratiam, ut ne adferant quidem aut dispensent... Dux autem vel vehiculum Spiritui non est necessarium, ipse enim est virtus et latio qua cunta fertur, non qui ferri opus habeat... Non igitur hac mersione, non hoc haustu, non illa unctione adfertur Spiritus gratia... Baptismo igitur Ecclesia publice recipit eum qui prius receptus est per gratiam. Non ergo adfert gratiam Baptismum, sed gratiam factam esse ei cui datur, Ecclesia testatur" (Fidei Ratio, VII). 175 4) Il existe une différence de taille entre Luther et Calvin. Le Réformateur de Genève écrit: "Les sacrements... nous servent de la part de Dieu de la même manière que les messagers de bonnes nouvelles de par les hommes: à savoir, non pour nous conférer les biens, mais seulement nous annoncer et démontrer les choses qui nous sont données par la libéralité de Dieu, ou bien nous sont arrhes pour les ratifier... Le Saint-Esprit est celui qui apporte les grâces de Dieu avec soi, qui donne lieu en nous aux sacrements et les y fait fructifier... Nous enseignons que la grâce intérieure de l'Esprit, comme elle est distincte du ministère extérieur, aussi doit en être considérée séparément... En même temps, cette fausse imagination est abattue d'enfermer dans les éléments la vertu de justifier et les grâces du Saint-Esprit, comme s'ils en étaient les récipients" (Instit. Rel. Chrét., XIV, 17). En s'exprimant ainsi, Calvin ne veut pas seulement affirmer que la grâce divine n'est pas localement enfermée dans l'élément visible du sacrement et s'opposer à l'« opus operatum » catholique qui assimile l'action du sacrement à celle d'un médicament agissant par sa propre vertu. En cela, Luther le suivrait. Mais il va plus loin: tout en affirmant que le Saint-Esprit agit par la Parole et les sacrements, il entend ne pas le lier aux éléments visibles que sont l'eau du Baptême et le pain et vin de la Sainte Cène. Le Baptême, il est vrai, est "signe et enseigne de notre purification", "une lettre patente et scellée, par laquelle il nous mande, confirme et assure que nos péchés nous sont tellement remis, couverts, abolis et effacés qu'ils ne viendront jamais à être regardés de lui, ne seront jamais remis en sa souvenance et ne nous seront jamais par lui imputés" (XV, 1). Calvin tient toutefois à préciser: "Saint Paul n'a pas voulu signifier que notre ablution et notre salut soient parfaits par le moyen de l'eau, ou que l'eau contienne la vertu pour purifier, régénérer et renouveler, et Saint Pierre non plus n'a pas voulu dire que l'eau soit la cause de notre salut. Mais ils ont seulement voulu signifier qu'on reçoit en ce sacrement l'assurance de telles grâces" (Instit. Relig. Chrét., XV, 2). On peut donc définir la différence entre Luther et Calvin de la façon suivante: pour Luther, le Saint-Esprit agit « par le sacrement » (per sacramentum), tandis que pour Calvin il agit « dans le sacrement » (in sacramento). Luther lie l'action du Saint-Esprit aux éléments visibles des sacrements, tandis que Calvin la déclare simplement concomitante; elle a lieu dans les sacrements, mais n'est pas liée à leurs éléments visibles. Luther est convaincu que l'eau du Baptême a, en vertu de la promesse du Christ, le pouvoir de purifier et de sauver, tandis que Calvin se contente d'affirmer que cette eau est le 'signe' d'une purification intérieure. Dieu n'offre pas le pardon et le salut par l'eau du Baptême, mais en même temps que cette eau. En termes dogmatiques: la doctrine luthérienne confère aux moyens de grâce à la fois une "vis exhibitiva" et une "vis collativa" (ils manifestent et confèrent la grâce), tandis que la doctrine calviniste restreint leur efficacité à la "vis exhibitiva" (ils ne font que manifester la grâce). Cf. Pierre Charles Marcel, Le Baptême, sacrement de l'alliance nouvelle, in Revue Réformée, octobre 1950, p. 106 s. En ce qui concerne l'action du Saint-Esprit et l'efficacité des sacrements, Calvin se situe à mi-chemin entre Zwingli qui rejette la notion même de moyens de grâce, et Luther

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jeudi 20 août 2020

L'ECCLÉSIOLOGIE PROTESTANTE : LE LUTHÉRANISME .

1) Luther, dans la Disputation de Leipzig (1519), reprenant une expression forgée par Jean Huss, définissait l'Eglise universelle comme « l'ensemble des prédestinés (praedestinatorum universitas). Plus tard il lui préféra le terme de « communion des saints » (communio sanctorum ). Il écrit dans le Grand Catéchisme (1529) : "La sainte Eglise chrétienne est appelée dans le Symbole "communio sanctorum". Ces deux expressions sont synonymes... Le mot "Eglise" signifie donc proprement assemblée" (3° Article du Credo, § 48). "Je crois qu'il y a sur la terre une sainte communauté, un petit groupe de saints dont le seul chef est le Christ. Appelés et rassemblés par le Saint-Esprit, ils ont une même foi, les mêmes sentiments et une même pensée. Ils ont reçu des dons différents, mais ils sont unis dans l'amour et il n'y a parmi eux ni sectes ni divisions. Je suis, moi aussi, membre de cette communauté; je participe à tous les biens qu'elle possède. J'y ai été amené et introduit par le Saint-Esprit, au moyen de la Parole de Dieu que j'ai écoutée et que j'écoute encore, ce qui est la première condition pour y entrer" (op. cit., § 49). Articles de Smalkalde: "Dieu merci, un enfant de sept ans sait aujourd'hui ce qu'est l'Eglise: ce sont les saints croyants, 'les brebis qui écoutent la voix de leur berger' (Jn 10: 3)" (III, 12). 

2) Cette Eglise est dans son essence invisible et donc un article de foi. Il existe cependant des marques (en latin "notae") auxquelles on la perçoit: ce sont les moyens de grâce par lesquels le Saint-Esprit la créé, l'édifie et l'étend sur terre, c'est-à-dire l'Evangile sous ses 173 « Ipsa quoque sancta Romana Ecclesia summum et plenum primatum et principatum super universam Ecclesiam catholicam obtinet; quem se ab ipso Domino in beato Petro apostolorum principe sive vertice, cujus Romanus Pontifex est successor, cum potestatis plenitudine recepisse veraciter et humiliter recognoscit » (Denzinger, 861). 156 différentes formes d'administration (prédication, sacrements, absolution). Dans son grand traité Des Conciles et de l'Eglise (1539), il écrit: "On reconnaît le saint peuple chrétien là où il y a la sainte Parole de Dieu... C'est là le vrai sanctuaire, la vraie onction qui oint pour la vie éternelle... Nous songeons à la Parole extérieure qui est prêchée par des hommes tels que toi et moi. Le Christ nous l'a léguée comme le signe extérieur auquel on reconnaît son Eglise ou son saint peuple chrétien dans le monde... Là où tu entends ou vois que cette Parole est prêchée, crue, confessée et mise en pratique, ne doute pas qu'il y ait là nécessairement une véritable "Ecclesia sancta catholica", un saint peuple chrétien, même s'il est peu nombreux... Ensuite on reconnaît le peuple de Dieu ou la sainte Eglise chrétienne au saint sacrement du Baptême, quand il est enseigné, cru et administré selon l'institution du Christ... Troisièmement, on reconnaît le peuple de Dieu ou une sainte Eglise chrétienne au saint sacrement de l'autel..." (W2 XVI, 2274 ss.). L'Eglise qui est invisible par essence, devient visible en utilisant ces moyens de grâce. Comme le dit le Réformateur, "la Parole de Dieu. ne peut pas être sans peuple de Dieu, ni le peuple de Dieu sans Parole de Dieu". L'Eglise chrétienne est donc perçue par les hommes comme un groupe réuni autour de la Parole de Dieu et des sacrements. C'est ce qu'on appelle l'Eglise empirique. Or, du fait que les hommes ne peuvent pas voir dans les coeurs, il se peut fort bien que des hypocrites en fassent extérieurement partie. C'est donc "per synecdochen"174 que le groupe tout entier est appelé l'Eglise, bien que seuls les croyants en fassent partie. Au sens strict du terme, l'Eglise est "communio sanctorum". Au sens large, elle est l'« assemblée des appelés » (coetus vocatorum, Melanchthon, Loci Communes). Luther cependant, tout en distinguant l'Eglise locale et l'Eglise stricte dicta, ne les sépare pas. 

3) Il en va de même des Confessions luthériennes. Pour la Confession d'Augsbourg, l'Eglise est "l'assemblée des saints, dans laquelle l'Evangile est enseigné dans sa pureté et les sacrements sont administrés correctement. Pour qu'il y ait une vraie unité de l'Eglise, il suffit d'être d'accord sur la doctrine de l'Evangile et sur l'administration des sacrements »175 . L'assemblée des saints ou des vrais croyants est seule Eglise au sens propre du terme (ecclesia proprie"). « Dans cette vie un grand nombre de méchants et d'hypocrites y sont mêlés (in hac vita multi hypocritae et mali admixti sunt) » (Art. VIII). Cependant ce n'est qu'extérieurement ou empiriquement que ces derniers en font partie. L'Apologie précise donc: « L'Eglise n'est pas seulement une société unie par certains signes extérieurs ou par des rites communs, comme c'est le cas des sociétés civiles. Elle consiste avant tout dans la communion intime de la foi et du Saint-Esprit et dans l'union des coeurs. Néanmoins, cette Eglise a des signes extérieurs auxquels on la reconnaît »176 . Les hypocrites n'en font partie que d'une façon extérieure (secundum ecternam societatem signoreum (VII. VIII, § 1 ss.). 

4) A la différence de Luther et des Confessions luthérienne qui ne parlent jamais que d'une seule Eglise et l'entrevoient tantôt dans son essence et tantôt empiriquement, les Dogmaticiens orthodoxes procèdent à deux définitions différentes de l'Eglise. En d'autres termes ils parlent de deux Eglises distinctes, l'Eglise invisible et l'Eglise visible. L'Eglise invisible est l'Eglise au sens propre (proprie dicta), la communion des saints ou des vrais croyants (communio sanctorum seu vere credentium, tandis que l'Eglise visible est l'Eglise dans un sens large (late seu improprie dicta), l'assemblée de ceux qui sont appelés par l'Evangile (coetus vocatorum). On précise cependant qu'il ne s'agit pas de deux Eglises différentes, mais d'une seule et même Eglise vue sous des angles différents. J. Gerhard: 174 Une synecdoque est une tournure linguistique dans laquelle on désigne le tout par la partie ou, inversement, la partie par le tout. Par exemple, quand vous dites à votre ami: « Tenez, je vous offre un bon chocolat », alors que vous lui tendez non pas simplement du chocolat, mais paquet dans lequel vous avez enveloppé une tablette de chocolat qui, elle-même, est emballée dans du papier. En effet, la chose qui compte n'est pas l'emballage ou le paquet, mais le chocolat qu'il y a à l'intérieur. Vous désignez donc le tout par la partie la plus importante. 175 L'Eglise chrétienne est « congregatio sanctorum, in qua Evangelium recte docetur .et recte administrantur sacramenta. Et ad veram unitatem Ecclesiae satis est consentire de doctrina Evangelii et administratione sacramentorum" (Confession d'Augsbourg, Art. VII). 176 "Ecclesia non est tantum societas externarum rerum ac rituum sicut aliae politiae, sed principaliter est societas fidei et Spiritus Sâncti in cordibus, quae tamen habet externas notas ut agnosci possit". Les hypocrites n'en font partie que "secundum externam societatem signorum" (Apologie, VII.VIII, § 1 ss). 157 « Nous n'affirmons nullement l'existence de deux Eglises opposées l'une à l'autre, mais déclarons qu'il n'y a qu'une Eglise qui est, selon le point de vue auquel on se place, visible ou invisible ». « Nous n'établissons pas deux Eglises, l'une véritable et interne, l'autre de façon impropre et externe, mais nous disons que l'unique Eglise qui existe peut être envisagée de deux façons, intérieurement et extérieurement, en tenant compte soit de la vocation et de la communion externe qui réside dans la confession de foi et l'administration des sacrements, soit de la régénération intérieure et de la communion interne par le lien de l'Esprit »177 . Tandis donc que Luther et les Confessions luthériennes partent de l'Eglise "proprie dicta" (dans le sens où le Nouveau Testament utilise ce terme) et font entrer les moyens de grâce dans la définition de cette Eglise, les Dogmaticiens luthériens des XVII° et XVIII° siècles partent du concept de "coetus" et l'envisagent selon les deux aspects de l'invisibilité et de la visibilité; ils font ainsi entrer les moyens de grâce dans la définition de l'Eglise au sens large du terme (late dicta), polarisant en quelque sorte Eglise invisible et Eglise visible et présentant l'Eglise au sens strict (stricte dicta) comme essentiellement et exclusivement invisible. Ce faisant, les Dogmaticiens luthériens recourent aux catégories de pensées de l'ecclésiologie réformée dont nous reparlerons plus tard. 

5) En ce qui concerne les propriétés ou qualités de l'Eglise, la théologie luthérienne distingue entre Eglise militante et Eglise triomphante (ecclesia militans, ecclesia triumphans). Elle est dite une, parce que le Christ n'a qu'un corps et que tous les vrais croyants (vere credentes) font partie de ce corps unique; sainte, parce que mise à part, rendue sainte par le pardon des péchés et marchant dans la sainteté; catholique, parce que s'étendant sur la terre entière; apostolique, non en vertu d'une succession apostolique par imposition des mains (la théologie luthérienne ne fait pas de l'ordination un sacrement à caractère indélébile), mais « en partie parce qu'elle a été plantée par les apôtres, en partie parce qu'elle a fait sienne la doctrine du salut transmise par les apôtres et qu'elle a été établie sur le fondement des apôtres et des prophètes »178. La thèse selon laquelle il n'y a pas de salut en dehors de l'Eglise (extra ecclesiam nulla salus) est vraie à condition qu'on ne l'applique qu'à l'Eglise au sens strict du mot, au corps du Christ, puisqu'il n'y a de salut qu'en Christ et que par la foi en lui tout pécheur devient membre de son peuple. D'autre part, l'Eglise subsistera toujours, elle est "perpetuo mansura" (Confession d'Augsbourg, VII), en vertu de la promesse selon laquelle les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle et qu'il y aura des croyants jusqu'au jour de la parousie. On distingue par ailleurs entre Eglise universelle (ecclesia universalis) et Eglise particulière ou locale (ecclesia particularis), puis entre Eglise vraie ou pure (ecclesia vera sive pura) et Eglise fausse ou impure (ecclesia falsa sive impura). Non qu'elle soit pure en ellemême, mais elle l'est par l'Evangile qu'elle proclame et les sacrements qu'elle administre. En effet, les notes ou marques de la vraie Eglise sont la pure prédication de la Parole de Dieu et l'administration des sacrements conformément à l'institution du Christ. L'Eglise est enfin dite entière ou synthétique en tant qu'elle regroupe tous ses ministres et tous ses auditeurs, et représentative (repraesentativa) lorsqu'elle délègue certains de ses membres (clergé ou laïcs) en assemblées locales, régionales, nationales ou internationales pour discuter de questions théologiques ou autres ou prendre des décisions. 

6) En ce qui concerne le ministère de la Parole et l'ordination, il existe des divergences au sein du luthéranisme. Tous les Luthériens enseignent avec Luther que le Christ a confié le sacerdoce universel ou le ministère des clés à l'Eglise tout entière, et donc à chaque 177 « Nequaquam introducimus duas ecclesias sibi invicem oppositas, sed unam eademque ecclesiam respectu diverso visibilem et invisibilem esse dicimus » (Loci Theol. XI, 81). « Non statuimus duas ecclesias, un am veram et internam, alteram nominalem et externam, sed dicimus unam eademque ecclesiam, totum scilicet vocatorum coetum dupliciter considerari, "esôthen" scilicet et "exôthen", sive respectu vocationis et externae societatis in fidei professione et sacramentorum usu consistentis, ac respectu interioris regenerationis et internae societatis in vinculo Spiritus consistentis » (Confessio Catholica, éd. 1679, p. 207). 178 "partim quod plantata sit ab apostolis, partim quod traditam ab apostolis doctrinam salutis amplexa et superstructa sit super fundamentum apostolorum et prophetarum" (D.avid Hollaz). 158 chrétien. Tous enseignent également que le ministère de la prédication est d'institution divine et qu'elle a été instituée par le Seigneur pour proclamer l'Evangile et administrer les sacrements (institutum est ministerium docendi Evangelli et porrigehdi sacramenta Confession d'Augsbourg, V). Certains Luthériens cependant affirment que le ministère de la prédication est une émanation du ministère des clés ou qu'en faisant appel à un pasteur, la communauté chrétienne lui délègue le ministère des clés pour qu'il l'exerce publiquement. Dans ce cas, le ministère de la prédication n'est qu'indirectement d'institution divine. D'autres Luthériens dissocient entièrement ministère des clés et ministère de la prédication, soutenant que ce dernier n'est pas confié ou conféré par la vocation qui émane d'une paroisse, mais par l'imposition des mains de la part des membres du clergé. C'est dissocier non seulement le ministère des clés et celui de la prédication, mais aussi la vocation et l'ordination et donner à cette dernière une dimension qui rappelle au moins celle qu'elle a dans la théologie catholique, quoiqu'aucun Luthérien n'endosse le concept de caractère indélébile. C'était par exemple le point de vue d'August Vilmar au siècle dernier (Die Lehre vom geistlichen Amt, 1870), et c'est celui du Luthérîen contemporain Joachim Heubach (Die Ordination zum Amt der Kirche, in Arbeiten zur Geschichte und Theologie des Luthertums II, 1956). 

7) Ces deux courants au sein du luthéranisme revendiquent l'autorité de Luther. Le jeune Luther a en effet battu en brèche le dogme catholique et défendu avec acharnement le sacerdoce universel. Ce fut le cas notamment dans son manifeste A la noblesse chrétienne de la natîon allemande de 1520). Plus tard, il fut par contre amené à réfuter les Enthousiastes ou Illuminés et à souligner l'institution divine du ministère de la prédication. Si tous les chrétiens sont prêtres devant Dieu et s'ils ont tous le pouvoir d'administrer les moyens de grâce, ils n'en ont pas pour autant le droit ou la compétence. Personne ne doit prêcher et administrer les sacrements dans l'Eglise (les cas de force majeure étant mis à part), « à moins qu'il ne soit régulièrement appelé » (nisi rite vocatus, Confession d'Augsbourg, XIV). Ceci dit, si tous les chrétiens ont le pouvoir d'administrer les moyens de grâce, Luther n'en affirme pas pour autant qu'ils le délèguent à leurs pasteurs. Enfin, Luther ne dissocie pas vocation et ordination. En cas de force majeure, cette dernière peut être conférée par de simples laïcs. Elle est un témoîgnage public rendu à la validité et la légitimité de la vocation, l'affirmation que l'appelé est apte à exercer le ministère de la Parole et l'occasion pour l'assemblée chrétienne d'intercéder pour ce serviteur de Dieu. Elle n'est ni un sacrement, ni d'institution divine. L'imposition des mains en est un élément parmi d'autres et constitue l'application personnelle de la bénédiction divine qui suit les prières d'intercession, mais elle ne confère pas de charisme particulier que les détenteurs du ministère se retransmettraient dans une succession plus ou moins ininterrompue


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LE DOGME DE LA PRÉDESTINATION DANS LA PENSÉE DE LUTHER

I) L'on sait que Luther a connu des heures de profond désespoir où Staupitz lui est venu en aide en tournant ses regards vers le Christ et le salut qu'il a acquis dans le temps et que proclame l'Evangile. Ses désespoirs concernaient d'une façon générale l'amour et la grâce de Dieu dont il se sentait totalement indigne. Luther a lutté pour parvenir à la certitude que Dieu lui était miséricordieux. Ces doutes avaient leur origine dans toute la doctrine scolastique de la grâce et de la justification. Mais leurs racines profondes gisaient dans le mystère de la prédestination, un problème qui l'a longtemps hanté et dont seul l'Evangile sut le libérer. Il opéra le passage dans son traité De Servo Arbitrio du "Deus absconditus" au "Deus revelatus". Refusant de spéculer sur un décret éternel de Dieu pour savoir si celui-ci lui était miséricordieux et l'avait élu pour le salut, il se tourna avec résolution vers le Dieu qui révèle son salut dans l'Evangile, salut acquis par le Christ au monde entier et offert à tous les hommes dans l'Evangile. 

2) Nous nous contenterons de laisser parler Luther dans les textes qui suivent: "J'apprends qu'on médite toujours à nouveau dans la noblesse et parmi les grands de ce monde et qu'ils répandent des faussetés à propos de la prédestination ou élection divine. Il paraît qu'ils disent: Si je suis élu, je peux faire le bien ou le mal, je serai sauvé de toute façon, et si je ne suis pas élu, je serai condamné, quoi que je fasse. Je serais prêt à réfuter en long et en large cette manière de parler impie, si ma santé me le permettait. Si ce qu'ils disent était vrai, comme ils le croient, l'incarnation du Fils de Dieu, ses souffrances, sa résurrection et tout ce qu'il a fait pour le salut du monde seraient abolis et anéantis. A quoi nous serviraient alors les prophètes et toute l'Ecriture Sainte? A quoi les saints sacrements seraient-ils utiles? C'est pourquoi, rejetons tout cela et foulons-le aux pieds" (Commentaire de la Genèse, 1544, w2 II, 174). "Le commandement de Dieu est le chemin qui mène à lui. Si nous l'avons perdu et que nous en cherchons un autre, si, tourmentés par le diable, nous nous inquiétons au sujet de notre salut et de notre élection, nous nous égarons à coup sûr et perdons les deux, le chemin de Dieu et notre chemin, et par là le pardon et notre salut. L'autre grand malheur est que le diable veut te faire déchoir, comme il est déchu lui-même et comme il a su faire déchoir Adam. Que veut-il, quand il t'inquiète au sujet de ton élection, si ce n'est t'obliger à sonder le dessein de Dieu, comme nous l'avons dit? Mais vouloir sonder son dessein, c'est vouloir être semblable à lui" (Operationes in Psalmos, 1519-1521, IV, 472). Cf. encore II, 180.182; IV, 474; X, 1706.1745 ss.; XIII, 200; XIV, 107. 134 Loin de spéculer sur le dessein éternel de Dieu, le croyant est invité à s'en tenir à l'Evangile et ses promesses: "Ces paroles (Rm 11: 33-36) de Paul, nous ne les mettons pas en relation avec l'élection divine qui concerne l'homme en tant qu'individu, avec la question de savoir qui est sauvé et qui ne l'est pas. Dieu ne veut pas que nous l'interrogions et le sondions sur ce dessein. C'est pourquoi il ne nous a pas donné de révélation particulière à ce sujet, mais il renvoie tous les hommes à la parole de l'Evangile. C'est à elle qu'ils doivent s'en tenir, c'est elle qu'ils doivent écouter et connaître. S'ils croient l'Evangile, ils seront sauvés. C'est ainsi que tous les saints ont eu et saisi la consolante certitude de leur élection et de leur salut, en croyant en Christ, et non à l'aide de quelque révélation particulière" (Sermon de la Kirchenpostille, Epîtres, XII, 636). "Tu dis que tu ne sais pas si tu persévéreras dans la foi. Allons, saisis la promesse et l'élection présentes et garde-toi de sonder avec témérité les desseins secrets de Dieu! Si tu crois en le Dieu qui s'est révélé et que tu acceptes sa Parole, le Dieu caché se manifestera à toi. Car, "celui qui me voit, dit le Christ, voit le Père" (Jean 14: 9). Mais celui qui rejette le Fils, perd avec le Dieu révélé le Dieu caché, celui qui ne s'est pas révélé. Mais si avec une foi ferme tu t'attaches au Dieu révélé, si tu prends dans ton coeur la résolution de ne pas perdre le Christ, dus-tu perdre par ailleurs tout ce que tu possèdes, tu es élu à coup sûr et tu comprendras le Dieu caché" (II, 179 s). Nous ne devons pas oublier "que ce n'est pas pour la perdition, mais pour le salut que le Tout-Puissant nous a créés, prédestinés et élus, comme l'atteste Paul, Eph 1: 4. Et ce n'est pas sur la base de la Loi, mais conformément à la grâce de Dieu et à l'Evangile qui est annoncé à tous les hommes (Luc 2: 14) que nous devons discuter de l'élection, sans prendre pour critère la raison... C'est pourquoi, il faut, en se fondant sur la Parole de la grâce et de la miséricorde de Dieu le Seigneur, juger et condamner semblables pensées concernant l'élection divine. Si on agit ainsi, on n'a plus ni la possibilité ni l'occasion de se replier sur soi-même et de se tourmenter" (Lettre de consolation quand on doute de son élection au salut, 20 Juillet 1528, X, 1742 s). Cette Lettre de consolation est un admirable exemple de la façon dont Luther utilise la doctrine de la prédestination dans la cure d'âme, notamment dans l'affliction et le désespoir. Après avoir établi que Dieu connaît de toute éternité ceux qui parviendront au salut et ceux qui périront, le Réformateur écrit à ce croyant inconnu qu'il doit détourner ses pensées du décret inconnu et inconnaissable de Dieu, pour s'en tenir à celui qui s'est révélé dans l'Ecriture comme un Dieu qui veut le salut de tous les hommes et le leur offre à tous en Christ, mort pour les péchés du monde entier. Il l'assure que tous les doutes quant à la prédestination proviennent du diable, qu'il convient donc de les chasser en se fondant sur la volonté universelle du salut telle qu'elle est révélée dans la Bible. Luther expose les vérités suivantes: Jésus est le Sauveur que Dieu adonné au monde. Ce Jésus appelle à lui tous les hommes, sans distinction. Sont invités à venir à lui tous ceux qui sont chargés et fatigués et qui aspirent au pardon et au salut. Alors que les pensées du coeur de l'homme peuvent s'égarer, la Parole et la promesse de Dieu sont vraies et certaines. Seul le Christ peut donc aider le croyant affligé à surmonter son doute et son désespoir. Dans une autre lettre à un inconnu doutant de son élection, Luther écrit: "Nous ne devons pas chercher à connaître ce que Dieu veut tenir caché. La pomme qu'Adam et Ève ont bouffée pour leur mort, avec tous leurs enfants, c'était la volonté de savoir ce qu'ils n'ont pas à savoir. De même que c'est un péché de tuer, de voler, de jurer, c'en est un aussi de procéder à de telles investigations. C'est l'oeuvre de Satan, comme tous les autres péchés. Dieu, au contraire, nous a donné son Fils Jésus-Christ. C'est à lui que nous devons penser et c'est en lui que nous devons nous mirer chaque jour; alors nous découvrirons l'élection, et cela dans toute sa beauté. En dehors du Christ, il n'y a que danger, mort et 135 diable. Mais en lui il n'y a que paix et joie. Si on ne cesse de se tourmenter au sujet de la prédestination, on ne gagne rien, si ce n'est la peur. Evitez donc et fuyez semblables pensées comme la tentation du serpent dans le paradis, et regardez au Christ! Que Dieu vous garde!" (X, 1748.1749) . À propos du Christ agonisant sur la croix: "Tu vois, dans cette image tu triomphes de ton enfer, et ton élection incertaine devient certaine. Occupe-toi de cela et crois qu'il est mort pour toi, et tu seras préservé dans cette foi" (Sermon von Bereitung zum Sterben, 1519, X, 1992). « Les sacrements, c'est-à-dire les paroles extérieures de Dieu prononcées par un prêtre, sont une grande consolation et en même temps le signe de ce que pense le Seigneur. Il faut s'en tenir à cela avec une foi ferme, comme à une bonne houlette... En effet, ce signe les préserve tous. Il nous montre le Christ et son image, et nous permet de dire à l'image de la mort, du péché et de l'enfer: Dieu m'a promis sa grâce et m'en a donné un signe certain dans les sacrements, un signe qui me certifie que le Christ a triomphé de ma mort par la sienne, que l'obéissance de sa vie a anéanti mon péché, que par son amour il a détruit mon enfer en étant abandonné de son Père. Ce signe, cette promesse concernant mon salut ne peut mentir ni tromper. Dieu l'a dit, lui qui ne peut pas mentir, ni en paroles ni en actes. Celui qui a cette assurance et qui se fonde sur les sacrements obtient sans peine et sans difficultés la certitude de son élection » (X, 1995) Cf. encore II, 182.185; III, 818; IX, 1115; X, 1742; XII, 636; XIV, 107 s; XXI a, 1224 ss; XXI b, 2678 ss; XXII, 829.833. Luther fait souvent allusion aux angoisses qu'il avait connues à l'époque où J. Staupitz avait été son confesseur et son conseiller spirituel: « Le Dr. Staupitz me consolait en ces termes et me disait: Mon cher, pourquoi te tourmentes-tu ainsi avec ces spéculations et ces pensées élevées? Regarde les blessures et le sang du Christ qu'il a répandu pour toi. C'est là que se manifeste la prédestination. Il faut donc écouter le Fils de Dieu qui a été fait chair, qui est devenu homme et qui a paru pour détruire les oeuvres du diable (1 Jn 3: 8) et t'assurer de ton élection. C'est pourquoi aussi il te dit: Tu es ma brebis, car tu entends ma voix, et personne ne t'arrachera de ma main (Jn 10: 29) » (II, 181). Luther rejette donc comme une erreur le lien que la doctrine catholique établit entre la prédestination et le libre-arbitre: « L'Evangile montre comment l'élection est éternellement assurée, mais eux affirment qu'elle repose sur le libre-arbitre et qu'elle est incertaine » (XI, 383). En commentant 1 P1erre 1: 2, Luther montre que la prédestination est fondée exclusivement sur la miséricorde de Dieu, à l'exclusion des oeuvres et de la dignité des croyants: « Ces paroles enseignent brièvement que la promesse ne repose pas sur notre dignité et nos mérites, comme le prétendent les Sophistes, sinon le diable pourrait la rendre incertaine et la renverser en tout temps; mais elle est dans la main de Dieu, et fondée sur sa miséricorde qui est inébranlable et éternelle. C'est pourquoi elle s'appelle élection; elle est certaine et se réalise à coup sûr » (IX, 1115.1862 s.). Au lieu de commencer par la prédestination, le croyant doit donc se tourner vers l'Evangile, et de là remonter à la prédestination: « Il faut tracer ici une frontière aux impies et aux esprits téméraires qui veulent exercer leur raison sur cette question, qui commencent par en haut, cherchent à sonder l'abîme de la prédestination divine et se soucient en vain de savoir s'ils sont prédestinés. Ils s'y cassent le nez: ou bien ils désespèrent ou bien ils s'enorgueillissent. Quant à toi, suis cette épître [l'épître de Paul aux Romains] et son plan; soucie-toi d'abord du Christ et de son Evangile, pour connaître ton péché et sa grâce » (XIV, 107). D'autre part, l'élection a eu lieu selon Luther sans « intuitu operum », c'est-à-dire sans que Dieu ait tenu compte des oeuvres. : Dieu n'a pas prédestiné au salut ceux dont il 136 voyait à l'avance les oeuvres et la justice: « De même qu'il est faux de dire que nous avons été élus pour être justes en raison de nos oeuvres futures, de même il est faux d'affirmer que nous sommes justifiés à cause des futures oeuvres de notre foi. Mais de même que la grâce de l'élection produit les oeuvres toute seule et sans notre coopération et qu'elle élit et appelle celui qui doit être justifié et faire des oeuvres, de même la foi produit d'elle-même les oeuvres, mais elle justifie sans ces oeuvres et anéantit le péché avant que celles-ci ne paraissent » (Gedanken von der Gerechtigkeit des Glaubens, inscrits en marge d'un exemplaire du Nouveau Testament, XIX, 1462). 


3) La controverse sur le libre-arbitre qui secoua le luthéranisme après la mort du Réformateur eut aussi des incidences sur la doctrine de la prédestination. Cf. plus haut le chapitre concerné. Dans son commentaire de l'épître aux Romains de 1532, Melanchthon affirme que la miséricorde de Dieu est la vraie cause de l'élection (vere causam electionis esse), mais soutient qu'il doit y avoir encore une cause quelconque chez celui qui en bénéficie (aliquam causam in accipiente), en ce sens qu'il ne la repousse pas (quatenus promissionem oblatam non repudiat). Dans l'édition de 1543 de ses Loci, il écrit: « Dieu nous a élus parce qu'il a décrété de nous appeler à être ses fils et qu'il a voulu faire connaître au genre humain sa volonté et ses bienfaits. Il a donc décidé d'élire ceux qui allaient accepter son appel (obtemperantes vocationi) ». Finalement il fit de l'aptitude de l'homme à se préparer à la grâce (facultas se applicandi ad gratiam) la cause seconde de l'élection (Loci, édition de 1548). La Formule de Concorde (1577) rejeta une telle doctrine, tout en se démarquant du prédestinatianisme calvinien. Elle distingue entre la prédestination qui concerne les seuls élus et la prescience qui s'applique aussi bien aux croyants qu'aux incroyants: "L'élection éternelle ou la prédestination au salut ne s'étend pas sur les bons et sur les méchants tout ensemble, mais uniquement sur les enfants de Dieu qui ont été élus et destinés à la vie éternelle "avant la création du monde", comme saint Paul le dit aux Ephésiens (I: 4) … La prescience de Dieu connaît d'avance et prévoit aussi le mal, mais sa volonté n'est pas qu'il s'accomplisse... L'origine et la cause du mal ne se trouvent pas dans la prescience divine, car Dieu n'est pas l'auteur du mal, il n'y contribue pas et ne le favorise pas, mais dans la volonté pervertie du diable et des hommes" (S.D. XI, 5-7). La Formule de Concorde définit la prédestination comme suit: « L'élection éternelle de Dieu ne prévoit pas seulement le salut des élus, elle ne le connaît pas seulement d'avance. Par un effet de la miséricorde et de la bienveillance de Dieu en Jésus-Christ, elle est, de plus, la cause qui crée, opère et favorise notre salut et tout ce qui s'y rapporte (causa est quae nostram salutem et quae ad eam pertinent procurat, efficit, juvat, promovet). C'est sur cette prédestination divine que se fonde notre salut, si bien que les portes de l'enfer ne prévaudront point contre lui. Il est écrit: 'Nul ne ravira mes brebis de ma main' (Jn 10: 28). Et ailleurs: 'Tous ceux qui étaient destinés à la vie éternelle devinrent croyants (Act 13: 48)' » (S.D. XI, 8). La théologie luthérienne rejette ainsi le "decretum absolutum". Dieu n'a pas seulement élu certains hommes, mais il les a élus pour le salut par la foi en Jésus-Christ. Tout ce qu'il fait dans le temps, il le fait pour accomplir son décret (S.D. XI, 13 ss. 23 ss; 65). « Notre élection en vue de la vie éternelle ne se fonde ni sur notre piété ni sur nos vertus, mais uniquement sur le mérite du Christ et sur la miséricordieuse volonté de son Père (non virtutibus aut justitia nostra, sed solo Christi merito et benigna coelestis Patris voluntate nitatur) » (S.D. XI, 75). Le dogme de la double prédestination est fermement rejeté et l'homme est déclaré seul responsable de sa perdition (S.D. XI, 78 ss.) D'autre part, l'« intuitu fidei » de Melanchthon est récusé (S.D. XI, 75.88) : « Toute préparation à la perdition est opérée par le diable et par l'homme au moyen du péché, sans que Dieu y participe en aucune façon (nequaquam autem a Deo). Comment en effet Dieu, qui ne veut la damnation de personne, préparerait-il lui-même un homme pour la damnation? » (S.D. XI, 81). « Ils ont donc tort, ceux qui enseignent que l'élection par laquelle Dieu nous prédestine à la vie 137 éternelle, a pour cause non seulement sa miséricorde et le très saint mérite du Christ, mais encore quelque chose qui est en nous. Car Dieu nous a élus en Christ non seulement avant que nous ayons fait quelque bien (antequam aliquid boni faceremus), mais avant notre naissance et même avant la création du monde » (S.D. XI, 88).

 4) Les Dogmaticiens de l'orthodoxie luthérienne reprirent à leur compte le dogme de la Formule de Concorde. Dans la réfutation du prédestinatianisme calvinien, ils distinguèrent entre la volonté antécédante qui est universelle et par laquelle Dieu veut le salut de tous les hommes, et la volonté conséquente en vertu de laquelle il condamne tous ceux qui rejettent le salut offert en Christ. Cette dernière est donc particulière (specialis). Bon nombre d'entre eux se rallièrent cependant à la doctrine de l'« intuitu fidei » ou de la « praevisa fide », affirmant que Dieu a prédestiné au salut ceux dont il savait qu'ils se convertiraient et qu'ils persévéreraient dans la foi. Si, face à Calvin, ils soutenaient que la volonté de Dieu est conditionnée (conditionata) ou ordonnée (ordinata), c'est-à-dire qu'elle se fonde sur l'oeuvre du Christ et inclut l'application personnelle du salut, ils étaient convaincus avec Melanchthon que le décret éternel de Dieu tient aussi compte du comportement de l'homme. J. Gerhard écrit par exemple: « La prévision de la foi entre dans le décret d'élection (intuitus fidei ingreditur decretum electionis) ». De même W. Baier: « Parce que Dieu a prévu de toute éternité quels hommes allaient persévérer dans la foi et qu'il a décidé de les sauver, le décret éternel par lequel le salut éternel est finalement accordé aux créatures en prévision du mérite du Christ et de la foi en lui est, strictement parlant, appelé prédestination ou élection »159. On constate donc que ces Dogmaticiens n'ont pas su maintenir la tension qui existe entre la gratuité du salut (sola gratia) et son universalité (gratia universalis).

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LA THÉOLOGlE LUTHÉRIENNE :RÉCONCILIATION ET RÉDEMPTION.

1) Luther attache une importance capitale à l'oeuvre rédemptrice du Christ qu'il place au milieu de sa théologie. Il n'hésite pas à utiliser le vocabulaire d'Anselme et à parler de satisfaction et de mérite. Et cela même dans le Grand Catéchisme: "Il souffrit, mourut et fut enseveli, afin de satisfaire pour moi et de payer ma dette" (2° Article du Credo, § 31). Mais il ne définit pas la satisfaction vicaire comme une compensation, une prestation destinée à sauver l'honneur de Dieu. Le mot ne l'intéresse que parce qu'il affirme que le Christ a pris la place des pécheurs. A la différence d'Anselme, le Réformateur est pénétré de la doctrine biblique du péché, qui n'entraîne pas seulement une dette (debitum), mais constitue un acte de rébellion qui place l'homme sous la colère de Dieu. C'est pourquoi l'oeuvre du Christ est une satisfaction non pas dans le sens du Cur Deus homo d'Anselme, mais en ce que le Christ prend la place du pécheur et endure le châtiment et la malédiction qu'il a méritée. Il expie les péchés des hommes, en assumant la sainte colère de son Père, et par là les délivre de la malédiction qui pesait sur eux et de la condamnation qui les attendait. Pour Luther, il n'y a pas de « satisfaction ou peine » (aut satisfactio aut poena), mais ce sont les deux à la fois (satisfactio et poena). "Puisque c'était impossible, Dieu en a désigné un autre à notre place, pour assumer toutes les peines que nous avons méritées, accomplir la Loi à notre place, détourner de nous le jugement divin et apaiser sa colère. Aussi nous accorde-il une grâce gratuite qui ne nous coûte rien; par contre, elle a beaucoup coûté à un autre qui s'était substitué à nous, et nous a été acquise par un trésor incalculable et immense, par le Fils même de Dieu" (WA 10 I, 1, 471). Dieu ne pouvait sauver l'homme, "à moins qu'il ne soit au préalable entièrement satisfait à sa Loi et sa justice. Il fallait marchander cette imputation miséricordieuse à sa justice et nous l'acquérir" (WA 10 I, 1, 470). Jésus a souffert, "tout comme s'il avait lui-même transgressé la Loi et mérité le châtiment qu'elle exige des transgresseurs" (WA 10 I, 1, 366). "Il lui fallut trembler de frayeur comme un pauvre pécheur maudit, ressentir dans son coeur doux et innocent la colère de Dieu et son jugement contre le péché, goûter pour nous la mort et la damnation éternelles, bref, souffrir tout ce qu'un pécheur condamné a mérité et doit endurer éternellement" (WA 45, 240, 17 ss.) .Le Christ nous a délivrés par sa double obéissance, l'obéissance active et l'obéissance passive: "Son innocence est pour ainsi dire double: d'une part parce qu'il n'aurait pas eu à souffrir, quand bien même il n'aurait pas accompli la Loi, ce dont il aurait eu le pouvoir. D'autre part, parce qu'il l'a accomplie spontanément, de bon coeur, et que pour cette raison il n'avait pas mérité de souffrir" (WA 10 I, 1, 366, 23 ss.) ."Il a satisfait à la Loi, en l'accomplissant entièrement, car il a aimé Dieu de tout son coeur, de toute son âme, de toutes ses forces et de toutes ses pensées, et le prochain comme lui-même. C'est pourquoi si la Loi vient t'accuser de ne pas l'avoir observée, montre-lui le Christ et dis: Voilà l'homme qui l'a fait! Je m'en tiens à lui, il a accompli la rédemption pour moi et m'a offert son accomplissement. Et la Loi n'a plus qu'à se taire" (WA 17 II, 291, 19 ss.). 

2) Les Confessions de foi luthériennes présentent elles aussi l'oeuvre sacerdotale du Christ comme une oeuvre de médiation, de satisfaction et de réconciliation. La Confession d'Augsbourg spécifie que la justification a eu lieu « en vertu du Christ qui par sa mort a satisfait pour nos péchés (propter Christum, qui sua morte pro nostris peccatis satisfecit) (Article IV). Articles de Smalkalde: "La satisfaction ne peut pas non plus être douteuse, car elle n'est pas notre oeuvre, entachée de péché et de valeur douteuse: elle consiste, au 127 contraire, dans la passion et le sang (satisfactio... est passio et sanguis) de l'innocent Agneau de Dieu qui porte les péchés du monde" (III, 3, 38). Selon la Formule de Concorde, c'est par sa double obéissance que le Christ nous a rachetés: "Ce n'est pas seulement l'obéissance qu'il offrit à Dieu par toutes ses souffrances et sa mort qui nous est imputée à justice, mais aussi celle par laquelle il se soumit spontanément à la Loi en notre faveur et l'accomplit..., l'obéissance tout entière que par ses actes et ses souffrances, sa vie et sa mort il offrit à son Père en notre faveur (quam Christus agendo et patiendo, in vita et morte sua nostra causa Patri suo coelesti praestitit)" (Solida Declaratio. III, 15). 

3) Les Dogmaticiens de l'Orthodoxie procèdent à un exposé systématique de l'oeuvre rédemptrice du Christ. Le péché est offense, injure, violation de la Loi. L'offense infinie faite à Dieu mérite des peines infinies (offensa infiniti Dei infinitas poenas meretur). Il fallait donc une intervention pour concilier la justice et l'amour de Dieu. Elle fut l'oeuvre du Fils de Dieu incarné (theanthrôpos) dont les mérites sont infinis. Jusque là, le schéma est celui d'Athanase et d'Anselme. Mais, à la différence d'Anselme, c'est par sa double obéissance que le Christ a accompli son oeuvre154 . En effet, il fallait non seulement délivrer l'humanité de la colère de Dieu, mais lui acquérir aussi la justice parfaite par laquelle le coupable peut subsister devant lui. Les Dogmaticiens assimilent donc les souffrances du Christ à celles-là mêmes que les pécheurs devaient endurer. J. Quenstedt écrit: « Il endura la mort éternelle, mais pas en éternité. Ce qui pour les hommes aurait duré toute l'éternité a été compensé par la majesté et l'excellence de la personne du Fils de Dieu (ipsa pajestate et excellentia personae Filii Dei compensatum fuit) » (Theologia did. pol. III, 319). Il est indéniable que la dogmatique luthérienne donne à l'oeuvre rédemptrice du Christ un caractère objectif et universel. Jésus a effectivement réconcilié le monde entier par son sacrifice sur la croix. Le pardon et le salut sont là, réellement acquis à tous les hommes et offerts dans l'Evangile. C'est pourquoi le rôle de la foi est celui d'un instrument: elle s'applique et s'approprie tout ce que le Christ a mérité au monde. Elle sauve, non pas par elle-même, mais en raison de son objet et contenu, le Christ, ses mérites, son innocence et sa justice

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mercredi 19 août 2020

LA CONFESSION D'AUGSBOURG ET SON APOLOGIE

 1) Les accusations de Jean Eck avaient contraint les partisans de la Réforme à donner un aperçu complet de leur doctrine. Luther ne put se rendre à Augsbourg et suivit les événements de la citadelle de Cobourg. Melanchthon, tout en évitant un ton trop polémique, fut chargé de présenter un document expliquant les convictions de ceux qui avaient pris parti pour la Réforme. Il s'agit dans la Confession d'Augsbourg (1530) de démontrer que la doctrine des évangéliques est la véritable doctrine catholique. Après un article sur la Trinité, elle affirme l'oeuvre réconciliatrice du Christ, mort « pour qu'il nous réconcilie avec son Père et qu'il soit une victime non seulement pour le péché originel, mais aussi pour tous les péchés actuels »100. L'essence du péché est définie comme une vie « sans crainte de Dieu et sans confiance en lui » (sine metu Dei, sine fiducia erga Deum). La concupiscence fait partie de la corruption de l'homme, c'est pourquoi le péché originel est un péché réel qui sépare l'homme de Dieu (Article II). La justification a lieu « gratuitement, grâce au Christ et par la foi (gratis... propter Christum per fidem). Elle consiste en ce que Dieu, pour l'amour du Christ, impute la foi « comme justice devant lui » (pro justitia coram ipso, Article IV). Cette foi est suscitée par le Saint-Esprit à l'aide de l'Evangile dans la Parole et les sacrements. « Le Saint-Esprit nous est donné par la Parole et les sacrements comme par des instruments », non pas de façon mécanique, mais où et quand il plait à Dieu »101 . D'autre part, la foi produit les oeuvres qui en sont les fruits naturels (VI). L'Eglise est l'assemblée des vrais croyants. Ses notes sont l'annonce pure de l'Evangile et l'administration correcte des sacrements. Bien qu'elle ne soit composée que de croyants, elle entraîne dans son sillage des hypocrites et des pécheurs impénitents (admixti hypocritae et mali (VII.VIII). Le Baptême est de nécessité de salut, et les enfants doivent le recevoir également (IX). Dans la Cène, le corps et le sang du Christ sont réellement donnés aux communiants (X). La confession privée est maintenue, sans qu'elle soit pour autant imposée aux fidèles (XI). Quant à la repentance, elle comprend la contrition véritable du coeur et la foi au pardon des péchés (XII). Elle doit avoir pour fruit non pas des satisfactions, mais l'amendement véritable de la vie. Les sacrements ne sont pas 100 "… ut reconciliaret nobis patrem et hostia esset, non tantum pro culpa originis, sed etiam pro omnibus actualibus peccatis" (Confession d'Augsbourg, Article II). 101 "Per Verbum et sacramenta tamquam per instrumenta donatur Spiritus... "ubi et quando visum est Deo" ( Article V). 68 simplement des "notae professionis inter homines", mais « des signes et des témoignages de la volonté de Dieu à notre égard » (signa et testimonia voluntatis Dei erga nos). Il faut la foi pour les recevoir de façon bénéfique (XIII). En ce qui concerne le ministère de la prédication, il est spécifié que seul un homme « régulièrement appelé » (rite vocatus) peut prêcher l'Evangile et administrer les sacrements (XIV). Quant aux coutumes ecclésiastiques, on peut les conserver dans la mesure où elles ne sont pas contraires à l'Evangile et ne constituent pas un fardeau pour les consciences (XV). On reconnaît l'institution divine des autorités civiles (XVI). Suit une condamnation du chiliasme ou millénialisme (XVII). Il n'existe de libre-arbitre qu'en ce qui concerne la justice civile (justitia civilis, XVIII). C'est la volonté de l'homme qui est le siège du mal (XIX). Toutes les bonnes oeuvres jaillissent de la foi en Christ et louent Dieu (XX). Seul le Christ est médiateur du salut (XXI). Enfin, la perfection chrétienne ne réside pas dans la vie monastique, mais dans la crainte de Dieu, la foi en ses promesses, la prière, la patience et la fidélité dans l'exercice de sa vocation (XXVII).

 2) L'Apologie de la Confession d'Augsbourg est une réplique à la Confutation que les théologiens catholiques opposèrent au document des évangéliques. C'est un grand traité doctrinal d'un haut niveau théologique, dans lequel Melanchthon justifie et explique les affirmations de la Confession d'Augsbourg. Elle insiste en particulier sur le péché, la justification, le rapport entre justification et sanctification, la repentance, les sacrements et les rites ecclésiastiques. L'essence du péché originel est conçue comme l'ignorance de Dieu, le mépris de Dieu, l'absence de crainte de Dieu et de confiance en lui (ignoratio Dei, contemtus Dei, vacare metu et fiducia Dei, (II, § 8.14), ou encore comme une sécurité charnelle (carnalis securitas) et la haine de Dieu (odium Dei, II, § 11). La grande faute de l'homme c'est de « ne pas pouvoir croire en Dieu, ne pas pouvoir craindre Dieu et l'aimer (non posse Deo credere, non posse Deum timere ac diligere (II, § 26). C'est pourquoi les hommes pèchent dans leurs meilleures oeuvres: « Les hommes pèchent véritablement, même s'ils accomplissent des oeuvres honorables sans l'Esprit Saint »102 . La justification a lieu par la foi, qui est "la foi spéciale par laquelle l'homme croit que les péchés lui sont pardonnés (fides specialis, qua unusquisque credit sibi remitti peccata, XII, § 59). Elle justifie, « non pas parce qu'elle serait une oeuvre digne en soi, mais parce qu'elle saisit la miséricorde promise (non quia ipsa sit opus per sese dignum, sed quia accipit misericordiam promissam IVb, § 56). Croire, c'est « vouloir et accepter ce qui est offert dans la promesse » (IV, § 183). C'est ainsi que l'homme est justifié: « Nous sommes déclarés justes à cause du Christ, quand nous croyons qu'à cause de lui Dieu est apaisé »103. En ce sens, on peut dire que la foi est « la justice elle-même » (ipsa justitia, IV, § 86). Pour l'Apologie, justifier, rendre juste , être réconcilié, être ou régénéré (ustificari, justum effici, reconciliari, regenerari) sont des synonymes: « Nous sommes justifiés par la foi seule, ce qui veut dire que, d'injustes que nous étions, nous sommes faits justes ou régénérés »104 Justifier, c'est « pour employer une terminologie juridique acquitter et déclarer juste, mais cela en raison d'une justice étrangère, celle du Christ »105. Notre justice est « imputation d'une justice étrangère... C'est par imputation que nous sommes rendus agréables à Dieu » 106 . En vertu de la justification, le croyant est donc réellement juste, mais par la justice du Christ. En nous justifiant, Dieu nous régénère par son Evangile. Il n'est plus pour nous Dieu de colère, mais « objet d'amour » (objectum amabile, §4b, 8). D'où les bonnes oeuvres qui procèdent de la justification, sans jamais en être le fondement. En effet, Christ est en permanence Médiateur (Christus perpetuo est mediator), et pas seulement au commencement de la justification (4b, § 196). 102 "Vere peccant homines, etiam cum honesta opera faciunt sine Spiritu Sancto" (Apologie Article IV, 35). 103 "Propter Christum justi reputamur, cum credimus, nobis Deum placatum esse propter ipsum" (§ 4, 97; 4b, 109). 104 "Sola fide justificemur, hoc est ex injustis justi efficiamur seu regeneremur" (§4, 117). 105 "… forensi consuetudine reum absolvere et pronuntiare justum, sed propter alienam justitiam, videlicet Christi". 106 "imputatio alienae justitiae... Efficimur accepti Deo propter imputationem" (§ 4b, 184-186). 69 Quant à l'Eglise est « avant tout communion de foi et du Saint-Esprit dans les coeurs. Cependant elle a des marques extérieures auxquelles elle est reconnue »107. Elle n'est pas pour autant une cité platonique ou imaginaire (civitas platonica), car elle rassemble tous les vrais croyants (vere credentes) éparpillés sur terre (7, § 20). Les hypocrites et les impies n'en font partie que par rapport aux rites extérieurs (secundum externos ritus, 7, § 12). La contrition sont les terreurs de la conscience qui sent que Dieu est irrité par la colère (terrores conscientiae, quae Deum sentit irasci peccato, 12, § 29) .Cependant, c'est là « l'oeuvre étrangère » (opus alienum) de Dieu. Son oeuvre propre (Dei proprium opus) consiste à donner la vie et consoler (12, § 51). Il le fait par la foi au pardon des péchés acquis par le Christ (12, § 2; 12b, § 19). Du fait qu'ils sont « signes de la volonté de Dieu à notre égard » (signa voluntatis Dei erga nos), les sacrements ont la même efficacité que la Parole (24, §69; 13, § 5). Il faut donc la foi pour les recevoir de façon salutaire (13, § 18-22.24.70), ce qui exclut l' "ex opere operato" (24, § 9). En ce qui concerne les rites ecclésiastiques, l'Apologie répète les affirmations de la Confession d'Augsbourg (Article 15). Etant donné que le règne du Christ est « règne spirituel » (regnum spirituale, 16, §54). L'Evangile n'abolit ou ne modifie pas les institutions terrestres, et ce n'est pas dans la vie monastique que réside la perfection chrétienne (16, § 54.61) .y chercher le salut, c'est ravir au Christ la gloire qui lui revient (27, Il) , comme le culte des saints est incompatible avec son ministre d'unique Sauveur (21, § 31).

LE DOGME PROTESTANT LA SOURCE ET NORME DE LA DOCTRINE CHRÉTIENNE.

 1) La Réforme a été la redécouverte de l'Evangile. Luther était en quête d'un Dieu miséricordieux et cherchait l'assurance de son salut. Ne la trouvant pas dans la théologie qu'on lui avait enseignée, il se tourna vers la Bible qu'il étudia avec zèle. Elle lui fit découvrir que le pécheur est justifié par sa seule foi en Dieu et s'imposa à lui comme l'unique source et norme de la foi, de la doctrine et de la vie chrétiennes. Sommé de se rétracter et de rejeter tout ce qu'il avait enseigné dans ses ouvrages (en particulier ses grands écrits de 1520), Luther déclara à la diète de Worms, le 18 avril 1521: "A moins d'être convaincu par le témoignage de l'Ecriture et par des raisons évidentes - car je ne crois ni à l'infaillibilité du pape ni à celle des conciles (il est manifeste qu'ils se sont souvent trompés et contredits) -, je suis lié par les textes bibliques que j'ai apportés, et ma conscience est prisonnière de la Parole de Dieu. Je ne puis ni ne veux rien rétracter, car il n'est ni sûr ni salutaire d'agir contre sa conscience. Que Dieu me soit en aide! Amen". Aux théologiens catholiques qui, faute de pouvoir fonder leur doctrine du purgatoire et des messes sur l'Ecriture, l'établissent sur les écrits des Pères de l'Eglise, Luther répond en 1537, dans les Articles de Smalkalde: "On ne saurait transformer en articles de foi les actes et les paroles des saints pères... Seule la Parole de Dieu doit établir des articles de foi; en dehors d'elle, personne, pas même un ange128 . 

2) Ce sera la doctrine officielle de l'Eglise luthérienne telle qu'elle s'exprime dans les Confessions de foi luthériennes: « Nous croyons, enseignons et confessons que les livres prophétiques et apostoliques de l'Ancien et du Nouveau Testament constituent la seule règle et norme selon laquelle toutes les doctrines et tous les docteurs doivent être appréciés et jugés »129. « Quant aux autres écrits, soit des pères, soit des docteurs modernes, quel que soit leur nom, ils ne doivent jamais être mis sur le même rang que les saintes Ecritures. Ils doivent tous être subordonnés à celles-ci et n'être cités qu'à titre de témoins attestant dans quelle mesure et en quels lieux la doctrine des prophètes et des apôtres a été conservée dans son intégrité après le siècle apostolique » 130 . 

3) La Dogmatique luthérienne confessionnelle a toujours affirmé le même principe. Citons à titre de témoin, parmi d'autres, J. Quenstedt: « Le principe de connaissance unique, véritable, adéquat et ordinaire de l'Ecriture Sainte et de toute la religion chrétienne est la révélation divine comprise dans les Saintes Ecritures ou, ce qui revient au même, l'Ecriture canonique est seule le principe de la théologie sur lequel il faut fonder ou duquel il faut déduire les articles de foi »131 .

 4) En ce qui concerne le canon de l'Ecriture Sainte, Luther s'est distancé de l'Eglise catholique en rejetant comme non inspirés les apocryphes de l'Ancien Testament. Il les a traduits et inclus dans la Bible allemande, mais en les rassemblant à la fin de l'Ancien Testament, comme des livres non canoniques, mais utiles à l'édification. Quant aux Confessions de foi luthériennes, elles se sont alignées sur le Réformateur, sans cependant, 128 "Regulam autem aliam habemus, ut videlicet Verbum Dei condat articulos fidei, et praeterea nemo, ne ange lus quidem" (A.S. II, 2, 15). 129 "… unicam regulam et normam secundum quam omnia dogmata omnesque doctores aestimari et judicari oporteat... sacris literis nequaquam sunt aequiparanda". 130 Formule de Concorde, Epitome, Sommaire, § 1.2. 131 "Sacrae Scripturae totiusque religionis christianae unicum, proprium, adaequatum et ordinarium cognoscendi principium est divina revelatio sacris literis comprehensa, sive, quod idem est, sola Scriptura canonica est principium theologiae utpote ex qua sola dogmata fidei probanda et deducenda" (Theol. didactico-polemica, I, 33). 106 comme ce fut le cas pour certaines confessions réformées, fixer définitivement la liste des livres canoniques. On connaît l'attitude critique de Luther à l'égard des antilégomènes132 du Nouveau Testament, surtout de l'épître de Jacques. Il convient cependant de distinguer entre canonicité et apostolicité. Si quelques doutes l'ont effleuré quant à leur canonicité, il était convaincu de leur non-apostolicité. Dans le style qui lui était propre et qui ne permet pas de peser chacun de ses mots dans une balance, avec une assurance prophétique, il déclare que celui qui n'annonce pas le Christ ressuscité ne peut pas être un apôtre: "On sent donc que l'épître de Jacques ne peut pas être une épître apostolique, car il ne dit mot de cela" (Commentaire de 1 Pierre, 1523, Erlangen II, 409). Ne traitant pas du Christ (en allemand: "was Christum treibt"), elle est "une vraie épître de paille" (Welches die rechten und edelsten Bücher sind, 1524, Erlangen II, 493). Il convient de noter que Luther a tempéré ce jugement par la suite. Il faut aussi reconnaître que cette liberté qu'il arrivait à Luther d'afficher n'a affecté en rien la soumission avec laquelle il recevait l'enseignement de l'Ecriture Sainte qui lui était Parole de Dieu dans toutes ses affirmations. 

5) La théologie luthérienne rejette à la fois l'enthousiasme (ou illuminisme) et le rationalisme. Luther s'est dressé avec véhémence contre l'enthousiasme des anabaptistes de l'époque (Carlstadt, Th. Müntzer) qui dissociaient Esprit et Parole de Dieu et se vantaient d'agir au nom de révélations particulières. Quant au rationalisme, il consiste à faire de la raison humaine le juge de l'Ecriture Sainte, et donc la source et norme de foi. La théologie luthérienne n'admet pas qu'un principe ou un axiome philosophique, quel qu'il soit, gouverne la dogmatique. C'est pourquoi, si attaché que Calvin ait été par ailleurs à l'Ecriture Sainte, elle lui a reproché une attitude rationaliste, lorsqu'il opposa à l'interprétation littérale des paroles d'institution de la Cène l'axiome: « Le fini n'est pas apte à l'infini » (finitum non est capax infiniti). Auparavant, Luther avait déjà reproché à Zwingli de recourir à l'alléose pour rendre compréhensibles et accessibles à la raison certaines affirmations christologiques du Nouveau Testament. La dogmatique luthérienne a vu aussi dans le prédestinatianisme et le synergisme (ou arminianisme) des efforts déployés par la raison pour expliquer pourquoi tous les hommes ne sont pas sauvés et répondre à la question: « Pourquoi les uns plutôt que les autres? » (cur alii prae aliis). Dans la mesure où la théologie moderne (qu'elle s'appelle rationaliste, libérale ou existentialiste) nie la possibilité d'une révélation divine, la réalité des miracles que les évangélistes attribuent au Christ, y compris sa naissance virginale et sa résurrection corporelle, elle est gouvernée par des a prioris ou des présupposés philosophiques, des considérations rationnelles qui lui font rejeter le clair témoignage de l'Ecriture Sainte. Ceci est valable non seulement pour le rationalisme proprement dit, mais aussi pour toutes les formes de théologie qui nient l'autorité souveraine de la Bible.

 6) La théologie réformée enseigne elle aussi que l'Ecriture est seule source et norme de doctrine et de vie chrétiennes. Calvin, ayant affirmé que Dieu se révèle dans l'oeuvre de la création, ajoute: "Toutefois il faut qu'intervienne un autre et meilleur remède pour nous faire bien et dûment parvenir à lui. C'est pourquoi ce n'est point en vain qu'il a ajouté la clarté de sa Parole, pour se faire connaître à salut" (Institution de la Religion Chrétienne I, 6, 1). Calvin souligne aussi que l'Ecriture détient son autorité de Dieu seul, qu'elle ne dépend pas de l'autorité de l'Eglise (I, 7, 1), et nie qu'elle doive être complétée par la tradition (I, 3, 14). La Confessio Helvetica posterior de 1566 déclare: "Nous croyons et confessons que les écrits canoniques des saints prophètes et apôtres des deux Testaments sont l'unique et vraie Parole de Dieu et qu'indépendamment des hommes ils détiennent assez d'autorité en eux-mêmes. C'est que Dieu a parlé aux pères, prophètes et apôtres et continue de nous parler à travers l'Ecriture Sainte. Et l'Eglise du Christ tout entière possède dans cette Ecriture Sainte un exposé parfait de ce qu'il faut savoir pour avoir la foi salvifique et mener une vie agréable à Dieu. C'est pourquoi Dieu a clairement prescrit 132 On azppelle « antilégomènes » certains livres du Nouveau Testament dont l'authenticité fut contestée ici et là pendant un certain temps dans l'Eglise ancienne. 107 qu'il ne fallait rien y ajouter ni rien en retrancher (Deut 4: 2).

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