1) Pour ce qui concerne la Sainte Cène, Luther se battit sur deux fronts. D'une part, il se dressa contre l'ignominie que représentait pour lui le sacrifice de la messe et dénonça la communion sous une seule espèce et le dogme de la transsubstantiation (De la Captivité Babylonienne de l'Eglise, 1520). Par ailleurs, il dut défendre la doctrine de la présence réelle contre Zwingl, Oeolampade, Carlstadt et les « Enthousiastes » (Schwärmer)211. Il avoua avoir été tenté de recourir à une interprétation symbolique des paroles d'institution, "parce que je constatais que j'aurais pu ainsi infliger au pape le coup le plus dur212 , mais "je suis prisonnier et ne peux me libérer de ces liens. Le texte est trop puissant, et les mots ne permettent pas de lui donner un autre sens".
2) "La Sainte Cène est un sacrement institué par notre Seigneur Jésus-Christ, dans lequel nous mangeons son vrai corps et buvons son vrai sang sous les espèces du pain et du vin" (Petit Catéchisme). La présence réelle a son fondement dans les paroles d'institution, et si Luther recourt à la christologie et en particulier au "genus majestaticum" (communication à la nature humaine des attributs de la nature divine), ce n'est pas pour fonder cette présence réelle, car elle se fonde sur les seules aroles d'institution de ce sacrement, mais pour montrer qu'elle est possible. Luther n'admet pas que le corps du Christ soit enfermé dans un lieu précis du ciel. Dans son traité Bekenntnis vom Abendmahl Christi (1528), le Réformateur montre que le Christ jouit de plusieurs modes de présence, dont l'ubiquité. C'est pourquoi il n'admet pas qu'on commette ce qu'il appelle une violence dans l'interprétation des paroles d'institution. Il rejette l'explication de Carlstadt, selon laquelle Jésus aurait montré son corps quand il a dit: "Ceci est mon corps". Il rejette également celle de Zwingli qui réduit le verbe « être » (« ceci est mon corps, ceci est mon sang » au verbe « signifier ». il rejette enfin l'interprétation d'Oecolampade que Calvin reprendra à 211 Cf. aussi Dass die Worte Christt 'Das ist mein LeI usw.' noch feststehen wider die Schwarmgeister, 1527; Bekenntnis vom Abendmahl Christi, 1528; Colloque de Marbourg, 1529). 212 Cf. An die Christen zu Strassburg (1524). 179 son compte et qui consiste à dire que le pain est l'image ou la figure du corps du Christ, soit parce que ce corps fut rompu sur la croix comme le Christ rompit le pain devant ses disciples (en réalité le corps du Christ ne fut pas rompu sur la croix, on ne lui brisa pas les os), soit parce que le corps du Christ nourrit l'âme comme le pain nourrit le corps. Ceci dit, Luther ne cherche pas à expliquer les modalités de cette présence et ne défend pas la théorie de l'impanation. Il se contente d'utiliser des tournures qui attestent qu'il s'agit d'une présence réelle: "Peu importe qu'on dise qu'il est dans le pain, qu'il est le pain ou qu'il est là où est le pain. Je ne veux pas me battre pour des mots, pourvu que le sens soit retenu et qu'on confesse que ce que nous mangeons dans la Cène n'est pas du simple pain, mais le corps du Christ". On appelle cela la manducation orale qui concerne aussi ceux qui communient indignement, car elle ne se fonde pas sur la foi des communiants, mais sur les paroles du Christ (Concorde de Wittemberg, 1536). Quel est l'effet de la Sainte Cène? "La grâce de la Sainte Cène est indiquée par ces mots: "Donné et répandu pour vous en rémission des péchés". Ainsi, en vertu de ces paroles, nous recevons dans la Sainte Cène la rémission des péchés, la vie et le salut; car là où il y a rémission des péchés, il y a aussi vie et salut" (Petit Catéchisme). En rendant le communiant participant de son corps et de son sang, le Christ lui donne les arrhes du pardon. Il scelle de la sorte ce pardon par ce par quoi il l'a acquis sur la croix. La foi est bien sûr requise de la part du communiant, car quiconque communie dans l'impénitence ou l'incrédulité se rend coupable envers le corps et le sang du Christ.
3) Confession d'Augsbourg: "Nous enseignons que le vrai corps et le vrai sang du Christ sont véritablement présents (vere adsint), distribués et reçus dans la Cène sous les espèces du pain et du vin. Nous rejetons donc la doctrine contraire" (Article 10). Apologie de la Confession d'Augsbourg: "Nous confessons que le corps et le sang de notre Seigneur Jésus-Christ sont réellement et substantiellement présents dans la Sainte Cène (vere et substantialiter adsint) et qu'ils sont offerts et reçus avec les éléments visibles, le pain et le vin" (Art. 10, 54). Articles de Smalkalde: "Ils sont reçus non seulement par les chrétiens pieux, mais aussi par les mauvais chrétiens" (111, 6).
4) On sait que Melanchthon finit par se distancer de la doctrine de Luther. Dans sa réédition de la Confession d'Augsbourg de 1540, il remplaça la tournure « sont vraiment présents et distribués» (vere adsint et distribuantur) par la formule « sont vraiment exhibés avec le pain et le vin » (cum pane et vino vere exhibeantur) et supprima la fin du paragraphe: "Nous rejetons donc la doctrine contraire". En adoptant le Livre de Concorde (1580), l'Eglise luthérienne souscrivait à la première édition de la Confession d'Augsbourg qu'on appelle l'Invariata et rejetait ainsi les changements apportés par Melanchthon. La Formule de Concorde (1577) mit fin au crypto-calvinisme qui s'était introduit dans le Luthéranisme et ratifia le « vraiment et substantiellement » (vere et substantialiter): «… que le corps et le sang de Jésus-Christ sont vraiment et substantiellement dans la Cène du Seigneur et qu'ils sont distribués et reçus avec le pain et le vin »213 . Elle rejette la réduction des paroles d'institution à une simple « présence et manducation spirituelle » (praesentia et manducatio spiritualis) (VII, 5) en faveur d'une « manducation orale » (manducatio oralis), tout en condamnant une conception capernaïtique214 de cette manducation: « Le corps et le sang du Christ ne sont pas seulement consommés spirituellement par la foi, avec le pain et le vin, mais aussi oralement, non pas d'une façon capernaïtique, mais d'une façon surnaturelle et céleste, en vertu de l'union sacramentelle »215 . Il en résulte que même les "indignes et les infidèles" reçoivent le vrai corps et le vrai sang du Christ (VII, 16). La présence réelle se fonde non pas sur une activité ou disposition humaine, mais sur l'institution et la promesse du Christ. Elle est aussi limitée à l'acte sacramentel et cesse 213 « ... quod in Coena Domini corpus et sanguis Jesu Christi vere et substantialiter sint praesentia et quod una cum pane et vino vere distribuantur atque sumantur » (Epitome, VII, 6). 214 Ce terme signifie ici « d'une façon cannibale ». 215 « Corpus et sanguis Christi non tantum spiritualiter per fidem, sed etiam ore, non tamen capernaitice sed supernaturali et coelesti modo, ratione sacramentalis unionis, cum pane et vino sumi » (VII, 15). 180 donc quand l'administration du sacrement, qui inclut la consécration, la distribution et la réception, est terminée: « Il n'y a pas de sacrement en dehors de l'usage institué par le Christ ou de l'acte divinement institué » 216 .
5) Les Dogmaticiens luthériens n'ont rien apporté de nouveau à ces formulations, si ce n'est quelques précisions utiles. La « matière terrestre » (materia terrestris) est le pain (azyme ou non). La fraction du pain n'est pas un élément essentiel du sacrement, mais eut lieu lors de son institution parce qu'on avait coutume de briser manuellement les galettes de pain, La « matière céleste » (materia coelestis) est le corps et le sang du Christ, en vertu d'une interprétation littérale des paroles d'institution qui voit en elles une synecdoque: « 'Touto' désigne l'ensemble sacramentel tout entier qui est fait du pain et du corps du Christ, ainsi que du vin et de son sang. 'Estin' affirme que ce qui est distribué dans la Sainte Cène est vraiment et réellement non seulement du pain, mais aussi le corps du Christ217 . La présence du corps et du sang du Christ dans la Cène n'est pas physique, locale ou circonscriptive, mais « métaphysique » (hyperphysica), c'est-à-dire au-delà des lois de la physique. Elle transcende les modes de présence ordinaires et rationnellement explicables et est rendue possible par l'exaltation ou glorification du Christ. A défaut d'une description rationnelle, les Dogmaticiens se contentent de parler d'union sacramentelle (unio sacramentalis) du corps du Christ au pain et de son sang au vin. Il y a manducation orale du corps et du sang du Christ de la part de tous les communiants, mais elle n'est bénéfique et salutaire que si elle accompagnée de la manducation spirituelle du Christ (Jean 6), c'est-à-dire si elle a lieu dans la repentance et la foi (J. Gerhard, J. Quenstedt, D. Hollaz, etc).
6) Zwingli fait de la Cène une simple commémoration de la mort du Christ: « Dans l'eucharistie il n'y a rien d'autre qu'une commémoration » (in eucharistia nihil aliud est quam commemoratio). Le pain rompu et le vin versé symbolisent la mort du Calvaire et rappellent qu'elle eut lieu pour le salut du monde. S'il confesse que le corps du Christ est présent (verum Christi corpus adsit), il l'est seulement pour la contemplation de la foi (fidei contemplatione). Cela signifie que ceux qui communient avec foi reconnaissent et réalisent ainsi qu'il est devenu homme, qu'il a souffert et qu'il est mort (Fidei Ratio, VIII) .
7) La doctrine de Calvin se situe à mi-chemin entre Zwingli et Luther. Le Réformateur de Genève ressemble en cela au Réformateur de Strasbourg Martin Bucer. Selon ces deux thélogiens, le pain et le vin ne sont pas de simples signes, mais les arrhes de la grâce divine. Le corps et le sang du Christ sont effectivement reçus dans la Cène, mais selon les modalités de Jean 6. Leur présence est dite réelle, mais il n'y a pas de manducation orale. Elle signifie que le Saint-Esprit confère aux communiants qui par la foi s'élèvent au ciel la puissance de vie qui jaillit du corps du Christ. « J'affirme que le Christ n'est pas présent dans la Cène que de la façon suivante: les esprits des fidèles, puisqu'il s'agit d'une action céleste, s'élèvent par la foi au-dessus du monde, et c'est ainsi que le Christ, en supprimant par la puissance de son Esprit l'obstacle que pouvait constituer la distance, s'unit à ses membres218 . "Il nous faut établir une présence de Jésus-Christ en la Cène telle qu'elle ne l'attache point au pain et ne l'enferme point là-dedans, et que finalement elle ne le mette point ici-bas en ces éléments corruptibles, d'autant que cela déroge à sa gloire céleste; et aussi qu'elle ne lui fasse point un corps infini pour le mettre en plusieurs lieux et pour faire accroire qu'il soit partout au ciel et sur la terre, d'autant que tout cela contrevient à la vérité de sa nature humaine" (Instit. Relig. Chrét. XVII, 19). S'il arrive à Calvin de parler de présence substantielle, il utilise le concept de substance non pas dans 216 « Nihil habet rationem sacramenti extra usum a Christo institutum seu extra actionem divinitus institutam » (S.D. 85.86). 217 David Hollaz: « 'Touto' denotat totum complexum sacramentale, constans ex pane et corpore, vino et sanguine Christi. 'Estin' denotat id quod in sacra coena porrigitur vere et realiter esse non tantum panem , sed etiam corpus Christi ». 218 « Non aliter Christum in coena statuo esse praesentem, nisi quia fidelium mentes, sicut illa est coelestis actio, fide supra mundum evehuntur et Christus, Spiritus sui virtute obstaculum, quod afferre pote rat loci distantia, tollens, se membris suis conjungit ». 181 son sens philosophique ou théologique, mais comme synonyme de présence vivifiant219 . Calvin fait de la Cène un moyen de grâce, en ce sens que le pain et le vin sont les sceaux de ce que Dieu accomplit pour le croyant dans le sacrement. C'est à ce titre que la participation à la Cène édifie et fortifie le croyant dans la foi. Le texte que nous venons de citer nie l'ubiquité de la nature humaine du Christ (Instit. Relig. Chrét., 17, 16.30.31). Calvin accuse à tort les luthériens d'enfermer le corps du Christ dans le pain: "Ils disent que néanmoins le corps de Jésus-Christ y est enclos... Il appert qu'ils s'amusent à une présence locale" (17, 16). "En enfermant le corps dans le pain, ils imaginent qu'il est partout, ce qui est contraire à sa nature" (loc. cit.). Ni Luther ni les Luthériens n'ont souscrit à la théorie de l'impanation ni assimilé la présence du corps et du sang du Christ à une présence locale. Quel est le tertium comparationis, c'est-à-dire le « point de comparaison » qui fait que le pain et le vin sont pour Calvin symboles du corps et du sang du Christ? Le Réformateur répond: Dieu "a donné par la main de son Fils à son Eglise le deuxième sacrement, à savoir le banquet spirituel, où Jésus-Christ nous témoigne qu'il est le pain vivifiant (Jn 6: 51) dont nos âmes soient nourries et repues pour l'immortalité bienheureuse... La Cène n'est autre chose qu'une confirmation visible de ce qui est récité au 6° chapitre de Saint Jean, à savoir que Jésus-Christ est le pain de vie qui est descendu du ciel" (17, 1.14). Le corps et le sang du Christ nourrissent spirituellement comme le pain et le vin nourrissent corporellement, physiquement. C'est là l'analogie en vertu de laquelle le pain et le vin sont dits symboliser le corps et le sang du Christ ou en être la figure et la représentation. D'autres théologiens ont vu cette analogie dans la fraction du pain, à laquelle cependant ne correspond pas de fraction du corps du Christ sur la croix.
8) Calvin, c'est indéniable, va plus loin que Zwingli dans sa façon de concevoir l'essence et l'efficacité de la Cène. En cela il est plus près de Luther. Il rejoint cependant Zwingli dans la négation de la présence réelle (au sens luthérien) et de la participation même des indignes au corps et au sang du Christ (communio indignorum) : "Voilà d'où est venu qu'ils (les Luthériens) ont faussement interprété le mot de manducation sacramentelle, pensant que les plus méchants, bien qu'ils soient totalement étrangers et éloignés de Jésus-Christ, ne laissent pas de manger son corps. Or la chair de Jésus-Christ au mystère de la Cène est une chose autant spirituelle que notre salut éternel. D'où je conclus que tous ceux qui sont vides de l'Esprit de Christ ne peuvent pas plus manger sa chair que boire du vin sans nulle saveur" (17, 33). La christologie de Calvin reste soumise à l'axiome «Le fini n'est pas apte à l'infini » (finitum non est capax infiniti) selon lequel le corps matériel du Christ n'est pas en possession d'attributs infinis tels que l'ubiquité ou omniprésence. Aussi Calvin nie-t-il l'ubiquité de la nature humaine du Christ, affirmant que si le Christ est omniprésent, il l'est seulement selon sa nature divine, en dehors de son corps. C'est ce que les Luthériens appellent l'« extra calvinisticum ». Rappelons que l'ubiquité de la nature humaine du Christ n'est pas une théorie luthérienne, mais qu'elle a eu de nombreux défenseurs dans l'histoire de l'Eglise220 . Soumise à l'axiome "Finitum non est capax infiniti", la christologie de Calvin ne lui permet pas de concevoir la présence du corps et du sang du Christ de la même façon que la théologie luthérienne. En ce qui concerne l'efficacité de la Cène, nous pouvons faire la même constatation que pour le Baptême: de même que, selon Calvin, Dieu agit « dans le Baptême » (in baptismo), mais non pas « par l'eau du Baptême » (per aquam baptismi), de même il agit et offre sa grâce « dans la Cène » (in coena), mais non pas « par le pain et le vin » (per panem et vinum). L'action divine est contemporaine de celle des éléments terrestres, mais n'a pas lieu par eux.
9) Les Eglises Evangéliques empruntent généralement la voie de Zwingli et font de la Cène un mémorial, un repas par lequel la communauté chrétienne confesse sa foi en la mort rédemptrice du Christ et la commémore: "La Sainte Cène est d'abord un repas 219 Cf. la note des éditeurs dans l'Institution de la Religion Chrétienne, Labor et Fides, Livre IV, p. 349. 220 Cf. le Catalogus Testimoniorum (témoignages des Pères relatifs au "genus, majestaticum") qui figure dans le Livre de Concorde. 182 commémoratif. Elle est destinée à rappeler aux enfants de Dieu les souffrances et la mort expiatoire du Seigneur et Sauveur Jésus-Christ" (Nouveau Manuel d'Instruction des Eglises Mennonites, p. 73 s.). "Elle constitue ainsi un symbole du sacrifice accompli par le Seigneur Jésus-Christ... et le signe de la nouvelle alliance que Dieu a traitée avec les hommes et qu'il a scellée par le sang de Christ" (op. cit.). Par ailleurs, elle est "un repas de consécration par lequel le chrétien vient confesser sa foi au Seigneur Jésus-Christ, non pas simplement en parole, mais en acte... La Sainte Cène est le repas de l'amour fraternel dans la communion au corps de Christ, l'Eglise... La Sainte Cène est aussi le repas de l'espérance chrétienne, qui annonce la mort de Jésus, mais aussi sa résurrection, et qui sera célébré jusqu'à ce qu'il vienne" (loc. Cit.). On constate que la théologie évangélique ne laisse pas de place à la dimension sacramentelle de la Cène et ne la conçoit pas comme un moyen de grâce, c'est-à-dire un moyen par lequel Dieu offre et scelle effectivement à celui qui communie avec foi le pardon des péchés et la vie éternelle. Les Eglises Evangéliques pratiquent aussi en général la discipline eucharistique et n'admettent à la Cène que ceux qui mènent une vie authentiquement chrétienne. Cette discipline est. malheureusement absente dans de nombreuses Eglises luthériennes et réformées à caractère multitudiniste. Elle est cependant clairement inscrite dans la théologie des Réformateurs et pratiquée par les Eglises protestantes qui se veulent fidèles à la Réforme.
10) Le rationalisme a suivi la même voie que le socinianisme qui ne voyait dans la Cène que la commémoration de la mort du Christ. Il a rejeté les définitions dogmatiques de la Réforme comme autant de spéculations scolastiqees (Wegscheider). Le supranaturalisme réduisit l'efficacité du sacrement à une activité générale du Christ glorifié, ou bien à une attestation de sa présence et de sa prévenance (Reinhard, Knapp, Steudel). Pour le libéralisme, la Sainte Cène était destinée à affermir le croyant dans la communion avec le Christ, à lui donner conscience du pardon des péchés et à lui infuser la puissance de vie qui jaillit de sa plénitude (Schleiermacher, Glaubenslehre II, § 140-142). La controverse qui avait opposé Luthériens et Réformés étant considérée comme dépassée, la voie était frayée à l'union des Eglises protestantes. Le XIX° siècle connut cependant un réveil de la conscience luthérienne et un retour aux grandes affirmations de la Réforme (A. Vilmar, w. Lohe, L. Harms, C.F.W. Walther, etc). Dans le dialogue oecuménique actuel, on se contente de confesser de part et d'autre la présence réelle du Christ, évitant toute formulation susceptible de faire renaître l'ancienne controverse. Thèses d'Arnoldshain (1957): "Dans la Sainte Cène, Jésus-Christ lui-même agit dans ce que fait l'Eglise, en tant que Seigneur présent par l'Esprit Saint dans sa Parole" (Thèse 2). "Lui-même, le Seigneur crucifié et ressuscité, se donne à nous dans son... corps et dans son... sang avec le pain et le pain, en vertu de sa promesse, et nous introduit ainsi par la puissance du Saint-Esprit dans la victoire de sa seigneurie, pour que nous ayons par la foi en sa promesse le pardon des péchés, la vie et le salut" (Thèse 4). La Concorde de Leuenberg (1971) s'efforce de prouver que les différences entre Luthériens et Réformés ne sont pas de nature à les séparer et à interdire la communion ecclésiale. Ses formulations sont telles qu'elles évitent tout ce qui pourrait diviser les protestants dans la doctrine de la Sainte Cène: "Dans la Sainte Cène, Jésus-Christ, le Ressuscité, s'offre lui-même avec le pain et le vin, en vertu de sa promesse, dans son corps et son sang livrés à la mort pour tous" (Thèse II, 2 b). "C'est ainsi qu'il s'offre lui-même sans restrictions à tous ceux qui reçoivent le pain et le vin, pour le salut de ceux qui croient et pour le jugement des autres" (Thèse III, 1). Au lieu d'affirmer la présence réelle du corps et du sang du Christ, les thèses protestantes modernes se contentent de confesser que le Christ lui-même est personnellement présent dans le sacrement. La thèse de la théologie de la communauté de Taizé, selon laquelle "le caractère mémorial de la Sainte Cène consiste en ce que l'Eglise, en célébrant ce sacrement, rend présentement actif devant Dieu et pour les hommes le sacrifice de la croix accompli une fois pour toutes" (M. Thurian, Eucharistie, 1963, p. 332). Cette conviction, si elle est partagée par un certain nombre de protestants et en particulier de Luthériens qui ont la nostalgie de Rome, est loin d'être représentative pour le 183 protestantisme moderne. Les voix ne manquent pas pour rejeter une conception sacrificielle de la Cène qui, de toute évidence, méconnaît l'oeuvre de la rédemption telle qu'elle est révélée dans l'Ecriture Sainte22