1) Le Livre de Concorde (1580) inaugura un siècle de stricte orthodoxie au sein du luthéranisme; un mouvement analogue eut lieu dans le christianisme réformé. Après une longue période de controverses théologiques, les Luthériens avaient réalisé l'unité doctrinale et l'avaient documentée par une série d'écrits confessionnels. Une bénédiction spirituelle acquise au prix de tant d'efforts se devait d'être préservée de toutes les menaces de l'intérieur et de l'extérieur. La période appelée Orthodoxie luthérienne va de la signature du Livre de Concorde (1580) au début du XVIII° siècle. Elle est caractérisée par une adhésion stricte à toutes les doctrines exposées dans le Livre de Concorde, la foi en l'inspiration plénière et verbale de l'Ecriture Sainte et le refus de toute compromission et de tout unionisme. 2) On peut subdiviser cette époque en trois périodes: 1) L'âge d'or de l'orthodoxie (1580- 1620). Les dogmatiques luthériennes adoptèrent le schéma des Loci Communes de Melanchthon et suivirent la méthode synthétique qui va des causes aux effets et traite les doctrines dans l'ordre suivant: Dieu, création, anthropologie, péché, christologie, sotériologie, etc. Les principaux théologiens de cette époque furent Jacob Heerbrand (1521-1600), Martin Chemnitz (1522-1586), Nicolas Selnecker (1530-1592), Aegidius Hunnius (1550-1603), Mathias Hafenreffer (1561-1619), Léonard Hutter (1563-1616), 119 Il n'est pas possible ici d'analyse, ne serait-ce que brièvement, des écrits et documents parus dans un passé récent. Signalons simplement que le Catéchisme de l'Eglise Catholique (1992), malgré certaines innovations, reste fidèle aux grandes thèses du Concile de Trente, que la Déclaration Conjointe sur la Doctrine de la Justication (1998) malgré des formulations qui se veulent plus conciliantes, ne supprime en rien de le contentieux luthéro-catholique sur cette importante doctrine, et que la récente encyclique Dominus Jesus (2000) tout en ouvrant les portes à l'universalisme religieux, refuse aux Eglises protestantes, en raison notamment de leur non-insertion dans le succession apostolique, le titre d'Eglises et les assimile à des communautés chrétiennes dans lesquelles on peut aussi parvenir au salut, même si elles ne bénéficient pas de toutes les richesses confiées à l'Eglise catholique. 88 Balthasar Mentzer (1565-1627).
2) La haute orthodoxie (1620-1650). Cette période fut moins productive que la première et couvre la période de la guerre de Trente Ans. La méthode des Loci est encore employée, mais on décèle dans la dogmatique l'influence de la philosophie qui reparaît avec la terminologie aristotélicienne. Toutefois, la dogmatique est loin d'être une science abstraite. Elle est étroitement liée à l'analyse exégétique et s'intéresse beaucoup à l'application pratique des vérités divinement révélées. Parmi ses représentants les plus marquants citons Jean Gerhard (1582-1637), Jean Poulsen Resen (1561-1638), Cort Alskassen (1564-1624), Jesper Rasmus Brochmand (1585-1652), Balthasar Meisner (1587-1626), Nicolas Hunnius (1585-1643), de même Jean-Georges Dorsch (1597-1659), Jean Hülsemann (1602-1661) et Jean Conrad Dannhauer (1603- 1666).
3) Enfin l'âge d'argent de l'Orthodoxie, qui abandonna la méthode synthétique au profit de la méthode analytique et inductive. Celle-ci fait la démarche contraire de la méthode synthétique et va de l'effet à la cause en étudiant la théologie à la lumière de sa fin dernière, le salut éternel. L'arrangement de la dogmatique en devient plus rigide, plus sec et plus abstrait. Citons parmi les théologiens de cette époque Jérôme Kromayer (1610-1670), Abraham Calov (1612-1686), Sébastien Schmidt (1617-1696), Jean-André Quenstedt (1617-1688), Jean-Frédéric Koenig (1619-1644), Friedemann Bechmann (1628-1703), Jean-Adam Scherzer (1628-1683), Jean-Guillaume Baier (1647-1695), David Hollaz (1648-1713). 3) Cinq universités allemandes sont le siège de l'orthodoxie. Wittemberg, Tübingen et Strasbourg représentent les fiefs de la plus stricte des orthodoxies, tandis que Jena et Leipzig défendent une orthodoxie tout aussi réelle, mais plus douce.
4) On a dit beaucoup de mal de l'orthodoxie luthérienne. Certains reproches sont sans doute justifiés, mais beaucoup de jugements faux et tendancieux ont été prononcés.
La place nous manque ici pour procéder à une analyse de ce courant théologique au sein du luthéranisme. Il avait ses défauts, c'est incontestable, mais il n'en fut pas moins marqué par une intense recherche biblique et théologique, ainsi que le souci très sincère de préserver l'héritage de la Réformation luthérienne. La dogmatique est loin d'être aussi sèche qu'on l'a affirmé; elle plonge ses racines dans l'analyse des textes scripturaires et est caractérisée par une piété authentique et le souci de transposer dans la pratique les grandes vérités de l'Ecriture Sainte. C'est ainsi que la Biblia Illustrata de Calov est une oeuvre considérable qui témoigne de la volonté de fidélité à l'Ecriture et de l'érudition de son auteur. Les Loci Theologici de J. Gerhard sont une mine précieuse d'authentique théologie biblique. Il faut regretter toutefois que l'appareil conceptuel aristotélicien ait incité la dogmatique de cette époque à étriquer certaines doctrines bibliques par des définitions qui ne sont pas sans rappeler celles de la Scolastique par leur souci de précision et leur tendance à se perdre dans certains détails infimes qui ne font pas l'objet d'une révélation scripturaire. Il est des doctrines qu'on ne peut pas insérer une fois pour toutes dans une formulation humaine, si exacte soit-elle,et qui transcendant les langues humaines parce qu'elles transcendent l'esprit humain lui-même. L'affirmation, par exemple, que les "matres lectionis" du texte massorétique hébraïque sont elles aussi inspirées par Dieu fut une erreur.
5) L'adoption de la Formule de Concorde avait rétabli la paix dans l'Eglise luthérienne. Elle fut à nouveau troublée par une controverse christologique touchant l'exinanition ou l'abaissement de Jésus-Christ et qui opposa les théologiens de Tübingen à ceux de Giessen (controverse crypto-kénotiste). Beaucoup plus grave fut la controverse syncrétiste soulevée par les efforts unionistes de Georg Calixte (mort en 1656). Ce théologien chercha à réconcilier les différentes Eglises issues de la Réforme en distinguant entre les aspects exclusif et inclusif de la vérité. Il était convaincu que le consensus réalisé au cours des cinq premiers siècles de l'ère chrétienne justifiait la réunion des Eglises. 89
6) On n'oubliera pas que l'orthodoxie produisit aussi de la littérature d'édification spirituelle, gage de l'importance qu'elle attachait à la piété. Ainsi, Jean Arndt est l'auteur du fameux ouvrage Vom wahren Christentum (Du christianisme authentique), Jean Gerhard publia des Meditationes Sacrae et Christian Scriver fit paraître une Schola Pietatis. De grands poètes de cette époque s'illustrèrent dans l'histoire de l'hymnologie luthérienne, dont Paul Gerhardt et Jean Hermann.