1) C'est sur ce point crucial que les protestants restent malheureusement divisés, que s'élève entre eux un mur qui n'est pas près de tomber. Luther affirme avec force que le Saint-Esprit n'agit pas de façon salvifique en dehors des moyens de grâce, que le pardon et le salut sont liés à ces moyens institués par Dieu (Parole et sacrements) et par lesquels il lui plaît d'appeler les hommes à la repentance et à la foi, de les convertir, régénérer, justifier, sanctifier et préserver dans la foi. Articles de Smalkalde: "Tout cela vient de l'antique serpent, du diable qui fit aussi d'Adam et d'Ève des illuminés en les détournant de la Parole externe de Dieu pour les amener à une fausse spiritualité et à des opinions fantaisistes... Dieu ne donne à personne son Esprit ou la grâce, sinon par ou avec la Parole externe qui doit précéder. C'est notre sauvegarde contre les illuminés ou spirituels qui se flattent d'avoir reçu l'Esprit sans et avant la Parole" (III, VIII, 3 ss.).
2) Zwingli, que Luther visait dans le texte que nous venons de citer, affirmait exactement l'inverse: « Je crois et je sais que tous les sacrements sont tellement loin de conférer la grâce qu'ils ne l'apportent ou ne la dispensent en aucune façon... En effet, le Saint-Esprit n'a pas besoin d'un guide ou d'un véhicule; il est lui-même la force et le mouvement qui apporte toute chose et n'a pas besoin d'être apporté... La grâce de l'Esprit n'est apportée ni par cette ablution, ni par cette gorgée, ni par cette onction... Par le Baptême, l'Eglise reçoit donc publiquement celui qui auparavant a été reçu par la grâce. Il n'apporte donc pas la grâce, mais l'Eglise atteste ainsi que la grâce a été accordée à celui qui a reçu le Baptême »209 .
3) C'est du pur illuminisme que Calvin lui-même dénonce en ces termes: "Ceux qui ont osé écrire que le Baptême n'est autre chose qu'une marque et enseigne par laquelle nous protestons devant les hommes de notre religion, ainsi qu'un homme d'armes porte la livrée de son prince pour s'avouer de lui, n'ont pas considéré ce qui est le principal dans le Baptême: c'est que nous devons le prendre avec cette promesse que tous ceux qui auront cru et seront baptisés, auront le salut" (Instit. de la Relig. Chrét. XV, 1). Prédication de la Parole et sacrements sont donc pour Calvin, comme pour Luther, des moyens de grâce, quoiqu'ils ne le soient pas de la même façon. Cf. Auguste Lecerf, Des Moyens de Grâce, in Revue Réformée, N° 22, p.
4). 209 "Credo, imo scio omnia sacramenta tam abesse ut conferant gratiam, ut ne adferant quidem aut dispensent... Dux autem vel vehiculum Spiritui non est necessarium, ipse enim est virtus et latio qua cunta fertur, non qui ferri opus habeat... Non igitur hac mersione, non hoc haustu, non illa unctione adfertur Spiritus gratia... Baptismo igitur Ecclesia publice recipit eum qui prius receptus est per gratiam. Non ergo adfert gratiam Baptismum, sed gratiam factam esse ei cui datur, Ecclesia testatur" (Fidei Ratio, VII). 175 4) Il existe une différence de taille entre Luther et Calvin. Le Réformateur de Genève écrit: "Les sacrements... nous servent de la part de Dieu de la même manière que les messagers de bonnes nouvelles de par les hommes: à savoir, non pour nous conférer les biens, mais seulement nous annoncer et démontrer les choses qui nous sont données par la libéralité de Dieu, ou bien nous sont arrhes pour les ratifier... Le Saint-Esprit est celui qui apporte les grâces de Dieu avec soi, qui donne lieu en nous aux sacrements et les y fait fructifier... Nous enseignons que la grâce intérieure de l'Esprit, comme elle est distincte du ministère extérieur, aussi doit en être considérée séparément... En même temps, cette fausse imagination est abattue d'enfermer dans les éléments la vertu de justifier et les grâces du Saint-Esprit, comme s'ils en étaient les récipients" (Instit. Rel. Chrét., XIV, 17). En s'exprimant ainsi, Calvin ne veut pas seulement affirmer que la grâce divine n'est pas localement enfermée dans l'élément visible du sacrement et s'opposer à l'« opus operatum » catholique qui assimile l'action du sacrement à celle d'un médicament agissant par sa propre vertu. En cela, Luther le suivrait. Mais il va plus loin: tout en affirmant que le Saint-Esprit agit par la Parole et les sacrements, il entend ne pas le lier aux éléments visibles que sont l'eau du Baptême et le pain et vin de la Sainte Cène. Le Baptême, il est vrai, est "signe et enseigne de notre purification", "une lettre patente et scellée, par laquelle il nous mande, confirme et assure que nos péchés nous sont tellement remis, couverts, abolis et effacés qu'ils ne viendront jamais à être regardés de lui, ne seront jamais remis en sa souvenance et ne nous seront jamais par lui imputés" (XV, 1). Calvin tient toutefois à préciser: "Saint Paul n'a pas voulu signifier que notre ablution et notre salut soient parfaits par le moyen de l'eau, ou que l'eau contienne la vertu pour purifier, régénérer et renouveler, et Saint Pierre non plus n'a pas voulu dire que l'eau soit la cause de notre salut. Mais ils ont seulement voulu signifier qu'on reçoit en ce sacrement l'assurance de telles grâces" (Instit. Relig. Chrét., XV, 2). On peut donc définir la différence entre Luther et Calvin de la façon suivante: pour Luther, le Saint-Esprit agit « par le sacrement » (per sacramentum), tandis que pour Calvin il agit « dans le sacrement » (in sacramento). Luther lie l'action du Saint-Esprit aux éléments visibles des sacrements, tandis que Calvin la déclare simplement concomitante; elle a lieu dans les sacrements, mais n'est pas liée à leurs éléments visibles. Luther est convaincu que l'eau du Baptême a, en vertu de la promesse du Christ, le pouvoir de purifier et de sauver, tandis que Calvin se contente d'affirmer que cette eau est le 'signe' d'une purification intérieure. Dieu n'offre pas le pardon et le salut par l'eau du Baptême, mais en même temps que cette eau. En termes dogmatiques: la doctrine luthérienne confère aux moyens de grâce à la fois une "vis exhibitiva" et une "vis collativa" (ils manifestent et confèrent la grâce), tandis que la doctrine calviniste restreint leur efficacité à la "vis exhibitiva" (ils ne font que manifester la grâce). Cf. Pierre Charles Marcel, Le Baptême, sacrement de l'alliance nouvelle, in Revue Réformée, octobre 1950, p. 106 s. En ce qui concerne l'action du Saint-Esprit et l'efficacité des sacrements, Calvin se situe à mi-chemin entre Zwingli qui rejette la notion même de moyens de grâce, et Luther