1) La Réforme a été la redécouverte de l'Evangile. Luther était en quête d'un Dieu miséricordieux et cherchait l'assurance de son salut. Ne la trouvant pas dans la théologie qu'on lui avait enseignée, il se tourna vers la Bible qu'il étudia avec zèle. Elle lui fit découvrir que le pécheur est justifié par sa seule foi en Dieu et s'imposa à lui comme l'unique source et norme de la foi, de la doctrine et de la vie chrétiennes. Sommé de se rétracter et de rejeter tout ce qu'il avait enseigné dans ses ouvrages (en particulier ses grands écrits de 1520), Luther déclara à la diète de Worms, le 18 avril 1521: "A moins d'être convaincu par le témoignage de l'Ecriture et par des raisons évidentes - car je ne crois ni à l'infaillibilité du pape ni à celle des conciles (il est manifeste qu'ils se sont souvent trompés et contredits) -, je suis lié par les textes bibliques que j'ai apportés, et ma conscience est prisonnière de la Parole de Dieu. Je ne puis ni ne veux rien rétracter, car il n'est ni sûr ni salutaire d'agir contre sa conscience. Que Dieu me soit en aide! Amen". Aux théologiens catholiques qui, faute de pouvoir fonder leur doctrine du purgatoire et des messes sur l'Ecriture, l'établissent sur les écrits des Pères de l'Eglise, Luther répond en 1537, dans les Articles de Smalkalde: "On ne saurait transformer en articles de foi les actes et les paroles des saints pères... Seule la Parole de Dieu doit établir des articles de foi; en dehors d'elle, personne, pas même un ange128 .
2) Ce sera la doctrine officielle de l'Eglise luthérienne telle qu'elle s'exprime dans les Confessions de foi luthériennes: « Nous croyons, enseignons et confessons que les livres prophétiques et apostoliques de l'Ancien et du Nouveau Testament constituent la seule règle et norme selon laquelle toutes les doctrines et tous les docteurs doivent être appréciés et jugés »129. « Quant aux autres écrits, soit des pères, soit des docteurs modernes, quel que soit leur nom, ils ne doivent jamais être mis sur le même rang que les saintes Ecritures. Ils doivent tous être subordonnés à celles-ci et n'être cités qu'à titre de témoins attestant dans quelle mesure et en quels lieux la doctrine des prophètes et des apôtres a été conservée dans son intégrité après le siècle apostolique » 130 .
3) La Dogmatique luthérienne confessionnelle a toujours affirmé le même principe. Citons à titre de témoin, parmi d'autres, J. Quenstedt: « Le principe de connaissance unique, véritable, adéquat et ordinaire de l'Ecriture Sainte et de toute la religion chrétienne est la révélation divine comprise dans les Saintes Ecritures ou, ce qui revient au même, l'Ecriture canonique est seule le principe de la théologie sur lequel il faut fonder ou duquel il faut déduire les articles de foi »131 .
4) En ce qui concerne le canon de l'Ecriture Sainte, Luther s'est distancé de l'Eglise catholique en rejetant comme non inspirés les apocryphes de l'Ancien Testament. Il les a traduits et inclus dans la Bible allemande, mais en les rassemblant à la fin de l'Ancien Testament, comme des livres non canoniques, mais utiles à l'édification. Quant aux Confessions de foi luthériennes, elles se sont alignées sur le Réformateur, sans cependant, 128 "Regulam autem aliam habemus, ut videlicet Verbum Dei condat articulos fidei, et praeterea nemo, ne ange lus quidem" (A.S. II, 2, 15). 129 "… unicam regulam et normam secundum quam omnia dogmata omnesque doctores aestimari et judicari oporteat... sacris literis nequaquam sunt aequiparanda". 130 Formule de Concorde, Epitome, Sommaire, § 1.2. 131 "Sacrae Scripturae totiusque religionis christianae unicum, proprium, adaequatum et ordinarium cognoscendi principium est divina revelatio sacris literis comprehensa, sive, quod idem est, sola Scriptura canonica est principium theologiae utpote ex qua sola dogmata fidei probanda et deducenda" (Theol. didactico-polemica, I, 33). 106 comme ce fut le cas pour certaines confessions réformées, fixer définitivement la liste des livres canoniques. On connaît l'attitude critique de Luther à l'égard des antilégomènes132 du Nouveau Testament, surtout de l'épître de Jacques. Il convient cependant de distinguer entre canonicité et apostolicité. Si quelques doutes l'ont effleuré quant à leur canonicité, il était convaincu de leur non-apostolicité. Dans le style qui lui était propre et qui ne permet pas de peser chacun de ses mots dans une balance, avec une assurance prophétique, il déclare que celui qui n'annonce pas le Christ ressuscité ne peut pas être un apôtre: "On sent donc que l'épître de Jacques ne peut pas être une épître apostolique, car il ne dit mot de cela" (Commentaire de 1 Pierre, 1523, Erlangen II, 409). Ne traitant pas du Christ (en allemand: "was Christum treibt"), elle est "une vraie épître de paille" (Welches die rechten und edelsten Bücher sind, 1524, Erlangen II, 493). Il convient de noter que Luther a tempéré ce jugement par la suite. Il faut aussi reconnaître que cette liberté qu'il arrivait à Luther d'afficher n'a affecté en rien la soumission avec laquelle il recevait l'enseignement de l'Ecriture Sainte qui lui était Parole de Dieu dans toutes ses affirmations.
5) La théologie luthérienne rejette à la fois l'enthousiasme (ou illuminisme) et le rationalisme. Luther s'est dressé avec véhémence contre l'enthousiasme des anabaptistes de l'époque (Carlstadt, Th. Müntzer) qui dissociaient Esprit et Parole de Dieu et se vantaient d'agir au nom de révélations particulières. Quant au rationalisme, il consiste à faire de la raison humaine le juge de l'Ecriture Sainte, et donc la source et norme de foi. La théologie luthérienne n'admet pas qu'un principe ou un axiome philosophique, quel qu'il soit, gouverne la dogmatique. C'est pourquoi, si attaché que Calvin ait été par ailleurs à l'Ecriture Sainte, elle lui a reproché une attitude rationaliste, lorsqu'il opposa à l'interprétation littérale des paroles d'institution de la Cène l'axiome: « Le fini n'est pas apte à l'infini » (finitum non est capax infiniti). Auparavant, Luther avait déjà reproché à Zwingli de recourir à l'alléose pour rendre compréhensibles et accessibles à la raison certaines affirmations christologiques du Nouveau Testament. La dogmatique luthérienne a vu aussi dans le prédestinatianisme et le synergisme (ou arminianisme) des efforts déployés par la raison pour expliquer pourquoi tous les hommes ne sont pas sauvés et répondre à la question: « Pourquoi les uns plutôt que les autres? » (cur alii prae aliis). Dans la mesure où la théologie moderne (qu'elle s'appelle rationaliste, libérale ou existentialiste) nie la possibilité d'une révélation divine, la réalité des miracles que les évangélistes attribuent au Christ, y compris sa naissance virginale et sa résurrection corporelle, elle est gouvernée par des a prioris ou des présupposés philosophiques, des considérations rationnelles qui lui font rejeter le clair témoignage de l'Ecriture Sainte. Ceci est valable non seulement pour le rationalisme proprement dit, mais aussi pour toutes les formes de théologie qui nient l'autorité souveraine de la Bible.
6) La théologie réformée enseigne elle aussi que l'Ecriture est seule source et norme de doctrine et de vie chrétiennes. Calvin, ayant affirmé que Dieu se révèle dans l'oeuvre de la création, ajoute: "Toutefois il faut qu'intervienne un autre et meilleur remède pour nous faire bien et dûment parvenir à lui. C'est pourquoi ce n'est point en vain qu'il a ajouté la clarté de sa Parole, pour se faire connaître à salut" (Institution de la Religion Chrétienne I, 6, 1). Calvin souligne aussi que l'Ecriture détient son autorité de Dieu seul, qu'elle ne dépend pas de l'autorité de l'Eglise (I, 7, 1), et nie qu'elle doive être complétée par la tradition (I, 3, 14). La Confessio Helvetica posterior de 1566 déclare: "Nous croyons et confessons que les écrits canoniques des saints prophètes et apôtres des deux Testaments sont l'unique et vraie Parole de Dieu et qu'indépendamment des hommes ils détiennent assez d'autorité en eux-mêmes. C'est que Dieu a parlé aux pères, prophètes et apôtres et continue de nous parler à travers l'Ecriture Sainte. Et l'Eglise du Christ tout entière possède dans cette Ecriture Sainte un exposé parfait de ce qu'il faut savoir pour avoir la foi salvifique et mener une vie agréable à Dieu. C'est pourquoi Dieu a clairement prescrit 132 On azppelle « antilégomènes » certains livres du Nouveau Testament dont l'authenticité fut contestée ici et là pendant un certain temps dans l'Eglise ancienne. 107 qu'il ne fallait rien y ajouter ni rien en retrancher (Deut 4: 2).