1) Les accusations de Jean Eck avaient contraint les partisans de la Réforme à donner un aperçu complet de leur doctrine. Luther ne put se rendre à Augsbourg et suivit les événements de la citadelle de Cobourg. Melanchthon, tout en évitant un ton trop polémique, fut chargé de présenter un document expliquant les convictions de ceux qui avaient pris parti pour la Réforme. Il s'agit dans la Confession d'Augsbourg (1530) de démontrer que la doctrine des évangéliques est la véritable doctrine catholique. Après un article sur la Trinité, elle affirme l'oeuvre réconciliatrice du Christ, mort « pour qu'il nous réconcilie avec son Père et qu'il soit une victime non seulement pour le péché originel, mais aussi pour tous les péchés actuels »100. L'essence du péché est définie comme une vie « sans crainte de Dieu et sans confiance en lui » (sine metu Dei, sine fiducia erga Deum). La concupiscence fait partie de la corruption de l'homme, c'est pourquoi le péché originel est un péché réel qui sépare l'homme de Dieu (Article II). La justification a lieu « gratuitement, grâce au Christ et par la foi (gratis... propter Christum per fidem). Elle consiste en ce que Dieu, pour l'amour du Christ, impute la foi « comme justice devant lui » (pro justitia coram ipso, Article IV). Cette foi est suscitée par le Saint-Esprit à l'aide de l'Evangile dans la Parole et les sacrements. « Le Saint-Esprit nous est donné par la Parole et les sacrements comme par des instruments », non pas de façon mécanique, mais où et quand il plait à Dieu »101 . D'autre part, la foi produit les oeuvres qui en sont les fruits naturels (VI). L'Eglise est l'assemblée des vrais croyants. Ses notes sont l'annonce pure de l'Evangile et l'administration correcte des sacrements. Bien qu'elle ne soit composée que de croyants, elle entraîne dans son sillage des hypocrites et des pécheurs impénitents (admixti hypocritae et mali (VII.VIII). Le Baptême est de nécessité de salut, et les enfants doivent le recevoir également (IX). Dans la Cène, le corps et le sang du Christ sont réellement donnés aux communiants (X). La confession privée est maintenue, sans qu'elle soit pour autant imposée aux fidèles (XI). Quant à la repentance, elle comprend la contrition véritable du coeur et la foi au pardon des péchés (XII). Elle doit avoir pour fruit non pas des satisfactions, mais l'amendement véritable de la vie. Les sacrements ne sont pas 100 "… ut reconciliaret nobis patrem et hostia esset, non tantum pro culpa originis, sed etiam pro omnibus actualibus peccatis" (Confession d'Augsbourg, Article II). 101 "Per Verbum et sacramenta tamquam per instrumenta donatur Spiritus... "ubi et quando visum est Deo" ( Article V). 68 simplement des "notae professionis inter homines", mais « des signes et des témoignages de la volonté de Dieu à notre égard » (signa et testimonia voluntatis Dei erga nos). Il faut la foi pour les recevoir de façon bénéfique (XIII). En ce qui concerne le ministère de la prédication, il est spécifié que seul un homme « régulièrement appelé » (rite vocatus) peut prêcher l'Evangile et administrer les sacrements (XIV). Quant aux coutumes ecclésiastiques, on peut les conserver dans la mesure où elles ne sont pas contraires à l'Evangile et ne constituent pas un fardeau pour les consciences (XV). On reconnaît l'institution divine des autorités civiles (XVI). Suit une condamnation du chiliasme ou millénialisme (XVII). Il n'existe de libre-arbitre qu'en ce qui concerne la justice civile (justitia civilis, XVIII). C'est la volonté de l'homme qui est le siège du mal (XIX). Toutes les bonnes oeuvres jaillissent de la foi en Christ et louent Dieu (XX). Seul le Christ est médiateur du salut (XXI). Enfin, la perfection chrétienne ne réside pas dans la vie monastique, mais dans la crainte de Dieu, la foi en ses promesses, la prière, la patience et la fidélité dans l'exercice de sa vocation (XXVII).
2) L'Apologie de la Confession d'Augsbourg est une réplique à la Confutation que les théologiens catholiques opposèrent au document des évangéliques. C'est un grand traité doctrinal d'un haut niveau théologique, dans lequel Melanchthon justifie et explique les affirmations de la Confession d'Augsbourg. Elle insiste en particulier sur le péché, la justification, le rapport entre justification et sanctification, la repentance, les sacrements et les rites ecclésiastiques. L'essence du péché originel est conçue comme l'ignorance de Dieu, le mépris de Dieu, l'absence de crainte de Dieu et de confiance en lui (ignoratio Dei, contemtus Dei, vacare metu et fiducia Dei, (II, § 8.14), ou encore comme une sécurité charnelle (carnalis securitas) et la haine de Dieu (odium Dei, II, § 11). La grande faute de l'homme c'est de « ne pas pouvoir croire en Dieu, ne pas pouvoir craindre Dieu et l'aimer (non posse Deo credere, non posse Deum timere ac diligere (II, § 26). C'est pourquoi les hommes pèchent dans leurs meilleures oeuvres: « Les hommes pèchent véritablement, même s'ils accomplissent des oeuvres honorables sans l'Esprit Saint »102 . La justification a lieu par la foi, qui est "la foi spéciale par laquelle l'homme croit que les péchés lui sont pardonnés (fides specialis, qua unusquisque credit sibi remitti peccata, XII, § 59). Elle justifie, « non pas parce qu'elle serait une oeuvre digne en soi, mais parce qu'elle saisit la miséricorde promise (non quia ipsa sit opus per sese dignum, sed quia accipit misericordiam promissam IVb, § 56). Croire, c'est « vouloir et accepter ce qui est offert dans la promesse » (IV, § 183). C'est ainsi que l'homme est justifié: « Nous sommes déclarés justes à cause du Christ, quand nous croyons qu'à cause de lui Dieu est apaisé »103. En ce sens, on peut dire que la foi est « la justice elle-même » (ipsa justitia, IV, § 86). Pour l'Apologie, justifier, rendre juste , être réconcilié, être ou régénéré (ustificari, justum effici, reconciliari, regenerari) sont des synonymes: « Nous sommes justifiés par la foi seule, ce qui veut dire que, d'injustes que nous étions, nous sommes faits justes ou régénérés »104 Justifier, c'est « pour employer une terminologie juridique acquitter et déclarer juste, mais cela en raison d'une justice étrangère, celle du Christ »105. Notre justice est « imputation d'une justice étrangère... C'est par imputation que nous sommes rendus agréables à Dieu » 106 . En vertu de la justification, le croyant est donc réellement juste, mais par la justice du Christ. En nous justifiant, Dieu nous régénère par son Evangile. Il n'est plus pour nous Dieu de colère, mais « objet d'amour » (objectum amabile, §4b, 8). D'où les bonnes oeuvres qui procèdent de la justification, sans jamais en être le fondement. En effet, Christ est en permanence Médiateur (Christus perpetuo est mediator), et pas seulement au commencement de la justification (4b, § 196). 102 "Vere peccant homines, etiam cum honesta opera faciunt sine Spiritu Sancto" (Apologie Article IV, 35). 103 "Propter Christum justi reputamur, cum credimus, nobis Deum placatum esse propter ipsum" (§ 4, 97; 4b, 109). 104 "Sola fide justificemur, hoc est ex injustis justi efficiamur seu regeneremur" (§4, 117). 105 "… forensi consuetudine reum absolvere et pronuntiare justum, sed propter alienam justitiam, videlicet Christi". 106 "imputatio alienae justitiae... Efficimur accepti Deo propter imputationem" (§ 4b, 184-186). 69 Quant à l'Eglise est « avant tout communion de foi et du Saint-Esprit dans les coeurs. Cependant elle a des marques extérieures auxquelles elle est reconnue »107. Elle n'est pas pour autant une cité platonique ou imaginaire (civitas platonica), car elle rassemble tous les vrais croyants (vere credentes) éparpillés sur terre (7, § 20). Les hypocrites et les impies n'en font partie que par rapport aux rites extérieurs (secundum externos ritus, 7, § 12). La contrition sont les terreurs de la conscience qui sent que Dieu est irrité par la colère (terrores conscientiae, quae Deum sentit irasci peccato, 12, § 29) .Cependant, c'est là « l'oeuvre étrangère » (opus alienum) de Dieu. Son oeuvre propre (Dei proprium opus) consiste à donner la vie et consoler (12, § 51). Il le fait par la foi au pardon des péchés acquis par le Christ (12, § 2; 12b, § 19). Du fait qu'ils sont « signes de la volonté de Dieu à notre égard » (signa voluntatis Dei erga nos), les sacrements ont la même efficacité que la Parole (24, §69; 13, § 5). Il faut donc la foi pour les recevoir de façon salutaire (13, § 18-22.24.70), ce qui exclut l' "ex opere operato" (24, § 9). En ce qui concerne les rites ecclésiastiques, l'Apologie répète les affirmations de la Confession d'Augsbourg (Article 15). Etant donné que le règne du Christ est « règne spirituel » (regnum spirituale, 16, §54). L'Evangile n'abolit ou ne modifie pas les institutions terrestres, et ce n'est pas dans la vie monastique que réside la perfection chrétienne (16, § 54.61) .y chercher le salut, c'est ravir au Christ la gloire qui lui revient (27, Il) , comme le culte des saints est incompatible avec son ministre d'unique Sauveur (21, § 31).